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NOTICE SUR J . - B . HDGON. 235 âge, Hugon aimait à vivre dans le silence de sa retraite ; là , seul, devant sa petite table de travail, il s'exerçait à imiter les vieux conteurs italiens et français dont ils chérissait la gaité un peu libre et dont il imitait avec un rare bonheur les allures naïves, assaisonnées d'une fine pointe de malice et de raillerie. Par un caprice qui peint la bonhomie do son caractère, il signait toutes ses productions et surtout ses contes du nom burlesque de Cigognibus et lorsque dans un cercle restreint un le priait (le lire quelque nouvelle composition, le morceau applaudi ne portait jamais la signature du grave et mélancolique négociant, c'était invariablement M. Cigognibus qui avait tous les honneurs de la soirée. En appelant M. Hugon un grave négociant, nous avons, par un privilège d'écrivain, franchi d'un coup de plume bien des années. Nous aurions dû peut-être nous appesantir sur les difficultés de sa jeunesse ; le montrer tour à tour employé, commis, associé, chef de commerce, mais cette existence n'a pas été assez orageuse pour que ses péripéties aient beaucoup d'intérêt. Hugon, comme la plupart des Lyonnais, avait la suite dans les idées, la per- sévérance et la fermeté du négociant ; sans se rebuter des difficultés de la vie, sans se plaindre comme Gilbert, sans se suicider comme Escousse et Chatterton, il travailla pendant quarante ans à réaliser la fortune qui devait donner li paix à ses vieux jours. Marié à une femme charmante qui le com- prenait et qui faisait le bonheur de sa vie, entouré d'amis qui le chérissaient, simple dans ses goûts, s'éloignant du monde autant que sa position le per- mettait, il n'avait pas de plus grand plaisir que de vivre dans son intérieur, de rimer pour quelques intimes, d'augmenter sa belle collection d'eaux fortes et de gravures et d'enrichir son esprit par la lecture des bons auteurs , simples et doux délassements des longues heures laborieusement passées derrière la grille d'un comptoir. Dans un de ses plus jolis contes que la Revue du Lyonnais donnera pro- chainement, Le Fou d'Athènes, Hugon rappelle, avec une bonne grâce char- mante, les tribulations qu'il éprouvait dans un bureau humide et sombre, tandis que son imagination frileuse s'envolait pour se réchauffer sous le beau ciel de l'Orient. De cette vie active, Hugon, trop modeste pour courir après la gloire, a recueilli une masse considérable de manuscrits tous inédits. C'est avec stupéfaction qu'on fouille dans ce riche bagage littéraire et qu'on découvre la traduction complète en vers français du Roland furieux de l'Arioste et de la Divine Comédie du Dante, vastes travaux devant lesquels plus d'un poète a reculé, des traductions et des imitations d'Horace, des tragédies, des poèmes comiques , des épitres , enfin plus de (rois cents contes , soit imités, soit originaux ; combien d'auteurs se sont fait un nom, qui n'avaient pas la dixième partie de ses richesses ; singulière modestie d'un homme de mérite dans un temps où la médiocrité est si avide de se montrer au public. Hugon est mort sans être connu que dans un cercle d'amis dévoués. Né le 27 janvier 1797, il s'est éteint le 24 juillet 1860, avant d'avoir louché à la vieillesse. Nul ne fut meilleur mari, meilleur frère, ami plus sûr, plus dévoué. Sa vie est pieine de traits charmants qui peignent la noblesse de son caractère et la beauté de son âme. Ceux qui connaissent la sévérité de ses mœurs s'étonnent de trouver dans quelques-uns de ses plus jolis contes une liberté d'expression qui rappelle Lafontaine. On a recueilli une tren- taine de ces contes qui formeront un joli volume à la veille de paraître ; les Trente contes de Cigognibus, publiés et recueillis par Jean-Baptiste Hugon, Lyon, 1861, in-12, auront certainement le succès que méritent les œuvres spirituelles et légères, que la gaîté a fait éclore et que le bon goût couvre de son approbation. La Revue du mois dernier et celle de ce jour donnent deux contes de notre auteur; si on les a lus avec plaisir, notre publication sera fièré d'avoir fait connaître la première un poète si modeste, que comme l'immortel fabuliste, il avait la bonhomie de croire qu'il ne faisait rien quand il mar- chait à la postérité. A. V.