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TRAITEE OU HÉROS? 55 fait couler et de délivrer son pays de l'oppression du crime en faisant cesser la tienne. Tu n'as jusqu'ici rencontré que des victimes, tu vas par moi, rencontrer des juges ! » Ephisio ne répondit pas, mais étendit le bras vers le ro- cher dans lequel était la grotte qu'avait habitée Ulloa. •— « Rocher, s'écria-t-il, avec cette solennité que revê- tent si facilement chez les Sardes les actes môme de la vie commune; rocher dont ii a souillé le sein par la plus noire des trahisons, sois l'indestructible témoin que Salvador Ulloa ayant été mon hôte, s'est fait mon assassin. » Puis, crachant sur la terre qu'Ulloa, le jour môme, avait remuée de sa bêche : o Terre, ajoula-t-il, terre qui l'es humectée de la sueur d'un traître, sois à jamais maudite! qu'aucune graine ne germe désormais dans ton sein ! que toute plante qui y poussera ses racines, y meure! » A ce mot de traître, considéré eu Sardaigne comme la plus sanglante des injures, un cri de fureur, aussitôt réprimé, sortit de la poitrine d'Ulloa; le sang du Sarde et du soldat s'était soulevé tout entier chez le fier jeune homme. Il fut assez maître de lui-même pour entendre ce mot de la bou- che d'un ennemi vaincu, sans en tirer immédiatement une vengeance que ne lui permettait plus l'honneur; mais il eût donné mille vies plutôt que de laisser à cet ennemi le moindre droit de lui appliquer cette odieuse qualification avec une apparente justice. Parvenu à dominer l'agitation intérieure prête à le trans- porter et qui lui fit faire un pas en avant, sans qu'Ephisio, toujours ferme et immobile, parût s'en émouvoir, il reprit la parole d'une voix qui trahissait l'état violent de son âme. — « Qu'Ephisio Malipierri, avant de livrer mon nom au mépris, s'écria-t-il, se souvienne de l'es.écration qui s'atta- che au sien ! Qu'il se souvienne du sang qui crie contre lui, depuis celui d'Antonio Montalva, dont il a inondé le seuil de