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LA CIGALE ET LA FOURMI. 519 tous les grands poètes ont été dissipateurs; enrichissez-vous, c'est le seul moyen d'obtenir Ja considération. La Fontaine a eu tort de se plaindre, d'ailleurs sa première fable est obscure, la morale en est négative et son dernier vers contre les prêteurs est brutal. Quoi qu'on fasse, l'argent sera toujours tout, le reste ne sera ja- mais rien ; voilà ce qu'on peut tirer de la fable : La Cigale et la Fourmi. » Nous, Monsieur, qui trouvons votre morale plus dangereuse que celle de La Fontaine, nous nous élèverons sérieusement contre elle ; au nom des artistes,, trop imprévoyants peut-être, mais d'autant plus respectables que le génie les a rendus plus malheureux, nous protesterons contre les réflexions que cet apo- logue vous a inspirées ; nous continuerons à croire et à soutenir que l'art existe, que l'homme n'est pas tout organe et matière. Nous continuerons à aimer le chant de la cigale pendant les nuits de l'été et les Å“uvres de l'intelligence, la peinture, la musique et la poésie dans tous les instants que nous pourrons leur consa- crer; et si jamais la fortune nous visite et qu'à notre porte nous entendions le cri de détresse d'un de ces hommes qui nous auront charmé, nous ne lui fermerons pas notre demeure sous prétexte que nous ne l'avons pas compris ; nous l'accueillerons en ami et nous nous garderons de lui reprocher, comme fait la Fourmi, d'avoir, en prenant la plume ou le pinceau, gaspillé un temps précieux au lieu d'avoir joué à la Bourse, aligné des chif- fres ou exercé quelque infime métier. L'inconnu qui a l'honneur de vous écrire, Monsieur, est un modeste industriel qui tient un peu des deux personnages de la fable, mais qui perd à chanter le moins de temps possible, afin d'être en mesure de braver l'hiver quand la bise se fera sentir. Aimé VINGTRINIER. Aimé VINGTRIÃUER, directeur-gérant. fa^ ' ,