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490                         MACAULAY.
dirait une armée qui grossit sans cesse, et dont la marche de-
vient par cela même de plus en plus embarrassée.
    Qu'est-ce que l'histoire doit être aujourd'hui, et comment faut-
il l'écrire ? Vous me permettrez de vous entretenir quelque temps
de ce sujet, vieux et banal, quand on s'en tient à de vagues gé-
néralités, mais qui tire sans cesse un intérêt nouveau de la mo-
bilité des temps et de celle de l'esprit humain.
    Je prendrai d'abord la liberté de combattre deux adages pré-
tendus, qui ont pour eux l'autorité de bien grands noms. Fénelon
soutient que le bon historien n'est d'aucun temps ni d'aucun
pays. Et plus loin il donne sa pleine approbation à cette pensée
des anciens, que l'histoire doit être composée pour la postérité ;
tel est le principe établi par Lucien d'après Thucydide , xr^ux
eiç à si, avait dit ce dernier. Rien assurément de plus élevé,
rien de plus noble, rien de plus propre à faire illusion qu'une
semblable théorie; laissez-moi ajouter, rien de plus chimérique
et de moins applicable à bien des égards.
   Comment veut-on que nous ne soyons ni de notre temps ni de
notre pays, que nous fassions abstraction des passions et des
idées avec lesquelles nous avons été élevés, au milieu desquelles
nous avons grandi et nous nous sommes formés ? Qu'un poète,
un philosophe s'isolent au milieu de leurs contemporains, on le
comprend à la rigueur ; le comprend-on d'un historien, étudiant
les vicissitudes des sociétés humaines, c'est-à-dire ce qu'il y a au
monde de moins abstrait? Comment portera-t-il dans cette
étude l'intérêt, l'émotion, disons mieux, l'intelligence néces-
saires, s'il n'est lui-même intéressé, ému, instruit surtout, par
les événements dont il est témoin? Sans doute il devra être au-
dessus des préjuges vulgaires, mais, quelle que soit la trempe de
son esprit, la force de sa raison, la hauteur de vues à laquelle il
s'élèvera, pourra-t-il se dégager en quelque sorte de lui-même
en quittant la sphère où il vit, où il pense, et où nous vivons et
pensons avec lui? Le pourra-t-il jamais, et si c'était chose pos-
sible, serait-ce chose désirable? L'historien n'a-t-il pas besoin
d'être homme, puisqu'il s'adresse à des hommes, et d'être de son
 temps, puisqu'il s'adresse aux hommes de son temps?