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DE M. SERVAN DE SUGNY. 327 magistrat, aux prises avec la réalité des passions humaines , dont il réprime chaque jour les excès et les débordements. Au sein de cette mêlée, il éprouve le besoin de détourner quelquefois ses regards de cet affligeant spectacle et de les reporter sur des objets plus riants et moins tourmentés. C'est l'heure où chacun va encenser quelque idole secrète : celui-ci le monde, celui-là les beaux-arts, tel autre les combinaisons du jeu ou les douceurs d'un far-niente contem- platif. D'autres , que la richesse de leur imagination sollicite, même au sein des travaux les moins poétiques , consacrent de courts loisirs aux intimes fréquentations de la muse. Il semble que ces entrevues rapides et pour ainsi dire clan- destines ajoutent, par leur frugalité même , quelque chose à l'attrait et a la fécondité. La satiété, qui est une pierre d'achoppement sur le chemin des vocations, est ici sans cesse conjurée par les exigences de la fonction et du devoir. C'est avec cette sobriété stimulante que M. Servan de Sugny, doué de cette éminente aptitude pour les lettres, qui fait les grands auteurs , aimait à consacrer à leur culte les heures que ne réclamait* pas chez lui l'administration de la justice. Les postes alpestres qu'il occupa en dernier lieu ne pouvaient absorber tout son temps ; et quel plus noble usage pouvait-il faire de ce superflu, que de l'appliquer à des exercices où il réussissait toujours, et qui avaient valu un nom honorable à son frère, dans une carrière parallèle, mais bien plus courte ? C'est à Nantua que M. Servan de Sugny réunit le fruit de ses heures de loisir en un volume qu'il publia, sous le titre de Gerbe littéraire, recueil de poésies de divers genres, qui toutes décèlent une facilité a toute épreuve , un goût fin, souvent de l'originalité et quelquefois même du génie. Le volume s'ouvre par Cent ans au désert, tableau reli- gieux et mystique, dans lequel l'auteur décrit les austé-