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88 QUERELLE DES ANCIENS grandes jouissances. On peut appliquer aux contempteurs systématiques de l'antiquité ce qu'on a dit de l'homme qui, n'ayant jamais voyagé, ne connaît que les horizons de son pays natal: « La trop grande idée que nous concevons du « sol où nous marchons, disparaît dès que nous considé- « rons la totalité du globe ». Gardons-nous de tomber dans l'excès opposé h celui que nous reprochons a nos adversaires: il ne servirait de rien de dénigrer le présent au profit du passé. Nous nous plai- sons avant tout à proclamer hautement nos profondes sym- pathies pour le progrès et notre vive admiration pour les découvertes de la science et les prodiges des arts et de l'in- dustrie modernes. Mais nous croyons aussi qu'il est bon de sortir quelquefois du cercle où se passe notre vie, et de jeter nos regards au-delà de notre horizon pour les reporter sur la contemplation du passé, y chercher les lumières et les jouissances après lesquelles l'esprit aspire, et y puiser les leçons et les enseignements dont aucune époque peut-être n'eut plus besoin que la nôtre. L'homme de lettres est, à nos yeux, de tous ceux qui sont en cause, le moins excusable assurément quand il affecte de ne jeter sur l'antiquité qu'un œil dédaigneux ; et remarquons- le bien : dans le siècle de Louis XIV, la querelle contre les anciens ne fut ni allumée ni soutenue par les seuls écrivains qui auraient eu le droit do leur comparer les modernes, et l'on ne rencontre parmi eux aucun de ceux que la postérité a réunis et confondus dans la môme admiration; n'y cherchez pas Corneille, Racine, Boileau, Lafontaine, Molière, Pascal, La Bruyère, etc. Ils sont dans notre camp. L'épreuve du temps a sanctionné toutes ces gloires. Combien au contraire de célébrités de ce temps ne franchiront jamais les portes de l'oubli que chaque siècle vient a son tour fermer sur les générations qu'il a vues naître !