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210 DES AFFINITÉS DE LA POÉSIE héros et d'aventuriers, tout se confond dans les souvenirs qu'elle rappelle. A l'horizon le plus reculé, perdu dans les brumes de la fable , se promène sur ses flots le navire Argo, première expansion du génie maritime de la Grèce. Était-ce une expédition guerrière ou une expédition de pi- rates et d'aventuriers a la recherche de l'or de la Colchide? L'entreprise avait probablement un double but. Mais déjà ce vaisseau m'offre l'image de la Grèce, telle qu'elle se consti- tuera plus tard. Vers la proue du navire, à côté d'Orphée qui chante en regardant les astres, je vois Lyncée qui repré- sente la science, et dont les yeux percent les entrailles de la terre pour y découvrir les métaux précieux. L'ostracisme est inventé, et c'est Hercule qui en sera la première victime; sa supériorité le fait rejeter de ses compagnons. Puis, sur cette mer, fréquentée des héros et des marchands, je ren- contre Minerve elle-même, ici, sous les traits de Mentes, roi de Taphos, allant échanger a Témèse de l'airain contre du fer; la, sous la figure de Mentor, se disposant a faire voile pour le pays des Cauconnes, où elle va, nous dit Homère, réclamer une dette qui n'est pas nouvelle, ni d'une faible valeur; près d'elle j'aborde Ulysse, son protégé, fer- tile en ruses; Ulysse me montre les richesses qu'il a re- cueillies de rivages en rivages, l'or et l'argent richement travaillés, les tapis précieux, les habits délicatement brodés ; et, en étalant tous ces trésors, il me parle si souvent d'ou- vriers et de beaux ouvrages, d'échanges et de navigation que je m'imagine écouter les aventures d'un marchand grec, échappé au naufrage, plutôt que celle d'un héros en butte au courroux des Dieux. Aujourd'hui encore, après trente siècles, l'impression que laisse la contemplation de cette mer n'a pas changé ; les mêmes harmonies la remplissent ; la même union entre l'u- tile et l'idéal, empreinte dans ses légendes, se retrouve, si i