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102 CONSIDÉRATIONS SUR L'ÉPOPÉE. dans l'Odyssée, et je déclare que j'ai bien souvent été frappé de ce caractère de véracité descriptive que je signale dans Homère. J'ai surtout exploré avec un soin plus particulier le théâtre où s'est passée l'action de l'Iliade. Pendant plu- sieurs jours j'ai battu en tous sens la plaine de Troie, j'en ai curieusement interrogé les moindres accidents. Guidé par les savantes recherches de plusieurs voyageurs qui m'a- vaient précédé, j'ai retrouvé d'abord facilement, malgré les changements qu'a subis la côte depuis trois mille ans, par suite d'ensablements et d'attérissements continus, le mouil- lage qu'occupaient les Grecs entre le cap Sigée et le cap Rhétée, et derrière, le site de leur camp. J'ai longtemps erré le long du cours sinueux des deux petits fleuves, entre les rives desquels se sont jadis livrés tant de combats acharnés, et qui, sous les dénominations turques qu'ils portent ac- tuellement , se font néanmoins reconnaître sans peine pour le Simoïs et le Scamandre ; j'ai fait halte ensuite sur l'emplacement où fut Troie, et, gravissant la colline où s'é- levait sa citadelle, il m'a semblé encore distinguer quelques fondements de cette tour du haut de laquelle la belle Hélène montrait du doigt et nommait au vieux Priam les princi- paux chefs des Grecs disséminés à l'entour dans la plaine. J'évoquai alors devant ma pensée les plus beaux épisodes de l'Iliade, ou plutôt ces épisodes se présentaient comme d'eux-mêmes de toutes parts a mon imagination éblouie. Les ténèbres me surprirent au milieu de ces souvenirs et de ces ruines. Je passai la nuit au pied de cette colline, en rêvant a l'invincible Achille et a son cher Patrocle, au fier Agamemnon et à Ménélas, son frère, au sage Nestor et h l'artificieux Ulysse, aux deux Ajax et au fougueux Diomède ; je n'oubliai pas non plus tant d'autres héros dont les ombres semblent encore peupler ces lieux a jamais célèbres. Je rêvai égale- ment a l'infortuné Priam et h la malheureuse Hécube, au