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52(j                      CHRONIQUE THÉAT1ULE.

chi ou appauvri ? Le cœur, débarrassé de ses désespoirs un peu factices,
a-t-il maintenant plus de chaleur, l'esprit deshalluciné plus de clair-
voyance, la volonté plus de ressort et de virilité ? C'est une question.
    On se rappelle la peinture que fait Horace du jeune homme dans son
Art poétique : il est de cire pour le vice, dit le poète, cereus advitiitmflecti,
rebelle aux conseils, moniloribus asper ; il prévoit trop tard ce qui est
utile, utilium tardus previsor. Hélas ! on n'en peut plus dire autant.
L'adolescent est aujourd'hui très-prévoyant, je vous assure -, il distingue
fort bien ce qui lui sera utile pour faire son chemin ; il sait d'avance
quelle attitude, quelles opinions il doit prendre, et il n'en change pas, à
l'inverse du jeune homme qu'Horace nous montre prompt à quitter ce
qu'il a aimé : amata relinquere pernix. Pour les conseils, il est difficile de
lui en donner, par l'excellente raison que ce qu'on lui prêcherait il le
pense lui-même. Est-il plein de fierté, sublimis, débordant de désirs, cupi-
dusque ? Non, la fierté, les désirs et tout ce qui y ressemble, les aspira-
tions, les grands sentiments, les idées voisines de l'utopie, il a subor-
donné tout cela au convenable, à ce qu'un philosophe américain a appelé
la loi de conformité. C'est une variété du cant anglais ; mais le cant trouve
son contrepoids dans les tendances si profondément individualistes de la
race où il s'est implanté. De là vient que le pays du cant est aussi la terre
classique des originaux et des excentriques.
   Remarquez ce contraste dans les mœurs du temps : de l'aveu de tout
le inonde, notre passion la plus forte est l'amour de l'argent. Le trait par
lequel Horace peint l'âge mûr s'applique à l'adolescent de nos jours : il
cherche les richesses, querit opes, et s'il les cherche, c'est apparemment
pour satisfaire des appétits de bien-être, de vanité, de luxe ; et cependant
en aucun temps la jeunesse n'a commis moins de folies. Les affaires d'éclat,
les scandales en amour, les ruptures avec le monde, les mariages d'entraî-
nement n'existent plus. La Bourse seule a ses légendes, ses incidents, ses
enlèvements, ses rapts d'un genre particulier, et, si le voman existe encore
quelque p a r t , c'est là ; mais quel roman ! Sthendal a dit : « L'amour fait
aujourd'hui tout au plus monter à cheval et choisir son tailleur. » Est-ce
que vraiment l'amour peut encore inspirer d'aussi grandes choses ?
   Nous sommes bien forcé d'avouer que M. E. Augier n'a pas tout à fait
envisagé les choses du point de vue où nous nous plaçons en ce moment.
Involontairement ou de propos délibéré il s'est appliqué à réduire son
sujet, en lui enlevant, autant qu'il a pu, son caractère général ; il l'a encore
amoindri en l'enveloppant dans une action maigre, sans vie, sans ampleur
<'t sans ondoiement, dénuée de péripéties et d'incidents. J'aurais voulu