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                          EN PROVINCE.                           385
sait la foule des adorateurs avantageux et importuns avec tant
d'esprit, d'amabilité et de grâces, que les assiduités malséantes
faisaient bientôt place au respect. On rapporte à ce sujet une
anecdote qui semble être plutôt du domaine de la comédie
ou du roman que de la vie réelle.
   Un jeune homme du plus haut rang ne trouva, dit-on, d'autre
moyen d'approcher de la belle et rigide cantatrice, qu'en s'en-
gageant chez elle en qualité de domestique ; il resta ainsi plu-
sieurs mois, caché sous la livrée, jouissant du bonheur furtif de
voir quelquefois celle dont il était épris, d'entendre sa délicieuse
voix, de respirer le même air, heureux d'exécuter les ordres
qu'elle lui donnait avec tout l'empressement et le zèle de l'amour.
Cela dura quelque temps sans que Mlle Sontag en pût concevoir
le moindre soupçon, tant l'amoureux avait soigneusement renfer-
mé en lui-même sa passion pour garder les apparences d'un ser-
viteur dévoué et respectueux.
   Mais, un certain jour, le faux valet servant à table, fut re-
connu par un des convives de la diva pour ce qu'il était vérita-
blement, un jeune gentilhomme. Inutile de dire que ce Ruy-Blas
prématuré reçut son congé en bonne forme et fus mis à la porte
avec tous les égards dus à sa gentilhommerie.
   Notre jeune prima elle aussi, avait mainte fois éconduit
la foule des soupirants en vers et en prose ; son mari le savait,
car elle n'avait jamais manqué de lui remettre ces billets à l'eau
rose et ces bouquets à Chloris, et pourtant malgré cela, le dé-
mon de la jalousie aiguisait incessamment dans son cœur les
dards de l'incrédulité.
   On ne devrait être jaloux que quand on a sujet de l'être, mais
alors il faudrait être raisonnable et la jalousie exclut la raison.
   Il y avait d'ailleurs dans cette incrédulité du mari une odieuse
injustice, une saignante blessure faite à l'honneur de la jeune
lemme. Disons-le, c'était quelque chose de pire qu'une injustice,
 pire qu'une offense, c'était une maladresse, car, en agissant ainsi,
 cet homme donnait à penser que ce qui n'était pas, existait : il
 encourageait les fats et prêtait des armes à la calomnie ; il
 excitait les dépits amoureux chez ceux qui pouvaient se croire
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