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44 BOJS JUAN. LE COMM. A ma chapelle. D. JUAN. Seul? LE COMM. [montrant CatalinonJ.Non. Vous deux. Et tiens- moi parole, comme je l'ai tenue à toi. D. JUAN. Sois tranquille, je suis un Tenorio. LE COMM. Et moi un Ulloa. D. JUAN. J'irai, sans faute. LE COMM. J'y compte, adieu. D. JUAN. Attends, je vais t'éclairer. LE COMM. C'est inutile, je suis en état de grâce. D. JUAN. Que Dieu m'assiste. Tout mon corps est baigné de sueur, et mon cœur se glace. Il m'a serré la main avec tant de force que j'ai cru sentir les feux de l'enfer. Son ha- leine était froide comme un souffle venu de l'abîme. Mais chimères que tout cela... Qui donc serait assez lâche pour trembler devant un corps inanimé? J'irai demain à la cha- pelle, et mon courage fera frémir Séville d'admiration et de stupeur? Quelle force ! et quelle différence entre cette sombre poésie et la scène assez pâle de Molière ? Dans notre théâtre si complètement sécularisé, ce mélange bizarre du sacré et du profane ne pouvait être admis par le public délicat du XVIIe siècle ; en général la raison y gagne, mais ici la poésie y perd. Le merveilleux semble peser à Molière ; il essaye en vain d'y suppléer en exprimant avec assez de force l'étrange situation d'un esprit incrédule placé en face du surnaturel, le bravant, n'osant le nier, ne pouvant y croire. Mais, mal- gré lui, Molière abrège ; il montre à peine la statue du com- mandeur, et la dernière réplique de la scène : « On n'a pas besoin de lumière quand on est conduit par le ciel, » avec sa couleur demi-religieuse et sa teinte effacée, ne produit pas l'effet de la noble et belle réponse de l'Espagnol : « C'est inutile, je suis en état de grâce. » C'est qu'il n'y a point de compromis entre le merveilleux et la froide raison ; vouloir