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                       LETTRES BABOISES.                     359

elle-même, dans sa patrie, fondé un hospice pour les aliénés,
do/jt elle est à la fois la mère et la servaute la plus dévouée ;
cette sainte femme , plusieurs fois millionnaire, comprend
ainsi la vie. Et qu'on dise que chaque pays n'a pas ses sœurs
de charité !...
   De toutes les infortunes qui pèsent sur la race humaine,
la folie est la plus terrible et la plus touchante. Par elle, le
malheur frappe l'homme dans ce qu'il a de plus précieux,
de plus noble, de plus intime. Tant qu'il s'agit de toute au-
tre misère, l'homme peut s'écrier comme le stoïcien : « Non,
douleur, tu ne me forceras pas d'avouer que tu sois un mal ! »
Mais ici, il ne reste qu'à courber la tête devant le glaive mys-
térieux qui frappe comme un éclair, et ne laisse après lui
que des ombres, de sinistres ombres où se glissent d'inquiètes
et d'affreuses épouvantes. Pour moi, la présence d'un fou me
remplit d'une sainte terreur , quoi! c'est là tout ce qui sépare
souvent le génie delà folie! un peu plus de modération dans
le branle des idées, un peu plus de coordination et de liaison
dans les enfantements du cerveau ! un peu moins de persis-
tance dans le retourd'une pensée dominante, ou d'un sentiment
trop vif, qui ne peuvent s'accorder avec le train du monde !
Ailleurs, je déplore la souffrance ; mais des maux physiques
me rappellent uniquement l'infirmité de la créature; ici,
quel que soit le mal du corps, il s'agit surtout de l'esprit, et
sa déchéance me fait sentir, d'autant plus vivement, sa native
grandeur. Je m'incline avec effroi, mais respect, devant l'être
tourmenté, misérable,qui porte dans les ruines de sa raison la
trace des ravages de l'esprit ; de l'esprit, quelquefois saisi de
vertige, et terrassé dans sa lutte avec le corps et un monde in-
humain, se débattant comme le dragon enchanté, et lançant
au travers de la nuit d'éblouissantes clartés, se relevant sans
cesse et toujours immortel. Fous par amour, fous de réflexion
et de science, fous de piété, fous d'imagination, vous tous,