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LA DAME D'URFÉ. 249 à quelque distance du château de la Bâtie, le jeune homme dit en montrant ses hautes tourelles : — Hirmantride, c'est ici que vous m'avez rendu père. La dame rougit, baissa la tête et ne dit rien de la soirée. Le lendemain, un cavalier partit au point du jour ; un grand remuement se faisait dans le château. Isambert donnait des ordres et chacun s'empressait d'obéir. Hirmantride reposait en- core, et on voulait que tout fût prêt pour son réveil. Quand la nourrice vint annoncer que sa maîtresse était levée et qu'elle se disposait à descendre, Isambert s'élança et monta dans l'ap- partement de la châtelaine. •—Douce amie, descendez au plus vite, venez voir une couvée de petits louveteaux qu'on m'a apportée ce matin. A ce mot de louveteaux, la châtelaine s'arrêta tremblante, et, la main appuyée contre le chambranle de la porte, elle sembla attendre l'arrêt d'une condamnation. —Douce amie, d'où vient cette hésitation? Craignez-vous quel- que danger ? Ces louveteaux sont jeunes, il y en a huit, mais ils ne sont pas méchants. La châtelaine devint plus pâle encore, ses genoux fléchirent et il lui sembla qu'un voile s'abaissait sur ses yeux. —Allons, venez, donnez-moi le bras.Vous aurez passé une mau- vaise nuit, et la fatigue d'hier ne s'est pas complètement dissipée. Tous deux descendirent l'escalier,- la jeune femme se laissait entraîner, elle marchait sans but, sans pensée ; il lui semblait qu'elle allait au supplice ; le visage de son époux n'avait cepen- dant rien d'irrité. — Depuis longtemps j'ai remarqué, belle amie, que toujours vous vous troublez quand on parle de louveteaux. Vous serait-il arrivé, dans nos bois, quelque aventure ! Vous n'avez, du reste, rien à craindre de ceux-ci. La châtelaine demeura immobile et comme foudroyée sur le seuil de la grande salle ; au milieu de la chambre,, huit petits garçons habillés de même, du même âge et de la même taille, attendaient, debout et rangés à côté les uns des autres ; tous ressemblaient à son époux.