page suivante »
LA DAME D'URFÉ, 237 LA CHASSE. Trois mois s'étaient écoulés depuis l'arrivée du seigneur et de la dame d'Urfé au château de la Bâtie. La bonne intelligence ne régnait plus entre les deux époux ; chacun d'eux vivait à part sans chercher un rapprochement dont ils avaient tant besoin. Isambert, à la tête d'une troupe déterminée de jeunes chasseurs, battait les bois du matin au soir, et poursuivait avec une égale ardeur le cerf ou le sanglier. La dame, retirée dans son appar- tement, brodait ou filait. Sa seule compagnie était sa nourrice et deux ou trois jeunes filles qui, avec elle, avaient quitté les ver- tes prairies de la Souabe , et toutes ensemble parlaient des si beaux châteaux qui hérissent les bords du Rhin, de la si belle ville de .Constance aux toits pointus, aux nids de cigognes, de la ville de Schaffouse, aux maisons peintes, au pont hardi, à la cas- cade sauvage et magnifique ; elles parlaient de la riche et sa- vante abbaye de Reichenau où elles allaient si souvent en pèle- rinage ; elles parlaient plus souvent encore, et alors des larmes mouillaient leurs yeux, de Stein, la forte ville, et du vieux châ- teau où elles étaient nées, et que sans doute elles ne devaient plus revoir ; et souvent elles chantaient tristement les chansons de leurs montagnes , les doux airs de leur pays, et souvent la nuit suivait son cours qu'elles étaient encore à s'entretenir de leurs jeunes années. Oh! qu'ils sont vifs les souvenirs de l'en- fance et du pays , alors qu'on est éloigné et malheureux, alors que l'avenir est sombre et qu'on ne voit plus de beaux jours que dans le passé ! Les dames et les seigneurs s'étaient dispersés, n'osant pas rester dans un manoir dont la châtelaine affectait de ne plus sortir, tandis que son époux , voyant son intérieur maussade , passait toutes ses journées dans les bois, toujours à cheval, tou- jours la lance ou l'épieu à la main. Une circonstance devait bientôt cependant réunir les deux époux. Le temps des couches d'Hirmantride s'approchait, et, as- sise , mélancolique et souffrante , dans son grand fauteuil, pro-