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LA DAME D'UKFÉ. 233 — La malédiction est donnée, dit Gertrude émue et tremblante de colère, et tenant sa fille dans ses bras. — Retirez-vous et ne paraissez jamais devant moi, dit la châ- telaine, et, frappant son coursier, elle s'approcha du ponl-levis ; mais personne n'était là pour présenter le vin de l'arrivée ; le vieil Aubry avait couru près de sa fille, abandonnant son poste et emportant la coupe et le flacon. Irritée de ce manque de subordination , la châtelaine se retourna vers son mari ; elle l'a- perçut donnant des soins à Marguerite, adressant de douces paroles à Gertrude et au vieil Aubry, et souriant à la foule qui l'entourait. Les vassaux s'étaient précipités autour de lui, tous baisaient ses mains et ses vêtements, et, lui, paraissait si heureux d'être aimé ! — C'est ainsi qu'il garde sa dignité , murmura la châtelaine, dont le front ordinairement pâle devint pourpre de dépit ; il changera de conduite , ou je perdrai tout empire sur sa volonté. — Le jeune ménage ne sera pas longtemps d'accord , dit en souriant la dame d'Espeleu à une de ses compagnes ; pour qui serez-vous ? — Si j'étais coquette, répondit la jolie châtelaine de Saint- Priest, comme vous, par exemple, je suivrais la bannière du su- zerain. — Il est si joli homme ! — Pourquoi vantez-vous toujours sa bonne mine et sa beauté? La dame d'Espeleu fit un charmant geste de menace. — Prenez garde, le sire de Lavieu vous regarde*, il est jaloux. — Oh ! vous êtes aussi méchante que belle ! Un regard d'amitié rétablit le bon accord entre les deux amies, dont les chevaux pressés l'un contre l'autre traversaient en ce moment le pont étroit jeté sur les eaux du Lignon. Le cortège avançait pêle-mêle, les uns voulant rejoindre le seigneur d'Urfé, les autres suivant la châtelaine ; quand on fut dans la cour, la confusion fut extrême. Personne pour recevoir les arrivants. Pages, varlets, écuyers s'étaient précipités de l'autre côté du pont • la châtelaine descendit de cheval presque sans aide, et