Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
166                       BIBLIOGRAPHIE.
notre minaret sacré, notre Mecque poétique? Nous tous, jeunes
gens qui nous sentons dans le cœur un monde intérieur que
nous cachons "soigneusement à la foule , nous attendons
dans le doute et l'inquiétude ; nous ne demandons pas un
messie , nous espérons un signal , une espérance , une voix
qui s'écrie : à moi la jeunesse ! Et voyez ! le passé lui-même ne
reconnaît-il pas qu'il a fait son œuvre et qu'il est dépassé par le
siècle? Voyez-les tous se hâter confusément de terminer leur
liquidation littéraire. Voyez cette fureur de rééditions, ces nuées
de volumes de toutes couleurs où chacun de ces noms illustres
résume et clôt ses œuvres; ils n'inventent plus, ils répètent;
ils sentent si bien que leur rôle est fini, qu'ils anticipent sur la
mort en publiant leurs mémoires, en livrant au public leur vie
qu'ils considèrent comme terminée. Autre symptôme, les bio-
graphies contemporaines pleuvent et l'on y traite les vivants
comme les morts, en ne leur ménageant ni les outrages ni les
insultes. Ne sont-ce pas là les signes les plus évidents de la fin
d'une période et de l'avènement d'une autre?
   Déjà les plus illustres se sont arrêtés, les uns épuisés, les
autres sous la main rigide de la mort. L'un des plus vastes, celui
qui a entrepris et soutenu seul l'immense tâche de peindre
l'époque tout entière, celui-là est mort au travail en laissant une
œuvre gigantesque, la Comédie humaine !
   Vous êtes tous reproduits dans ce livre formidable, hommes
célèbres ! et vous êtes plus ressemblants et plus vivants dans ce
tableau que vous ne vivez et que vous ne vous ressemblez main-
tenant à vous-mêmes. La mort du peintre semble avoir immo-
bilisé les modèles. Un seul restait, le plus grand, le plus auguste,
le poète qui a commencé le siècle et donné l'élan du Mouvement
à l'agonie duquel nous assistons aujourd'hui. Retiré à l'écart, muet
depuis seize ans, il vient de laisser tomber de son rocher d'exil sa
dernière parole , parole funèbre : « lisez mon livre, a-t-il dit,
comme le livre d'un mort. » Non, nous ne lirons pas ce livre
comme celui d'un m o r t , nous l'accepterons comme la pierre
suprême et superbe qui va marquer la limite de deux générations
et séparer leurs œuvres sans séparer leurs âmes. Nous ne renions