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ESÃIENNE DU TRONCHE!. 341 Si je ne me trompe, il y eut, pendant la durée de la Renais- sance , trois langues françaises assez distinctes qu'il ne serait peut-être pas impossible de classer : d'abord la langue purement gauloise, la langue vraiment originale de Marol, de Mellin de Gelais, de Marguerite de Navarre, de Denisot, de Bonaventure des Périers, la langue qui persista au milieu des tentatives de réforme les plus outrées de la Pléiade, et que l'on distingue facilement eneore, malgré quelques modifications, dans les Å“uvres de Henri Estienne, de Passerat, de Montaigne, et dans quelques fragments mêmes des poésies des réformateurs. Puis la langue extravagante, la logomachie de Jean Dorât, de Ronsard, de Baïf, de du Bartas, la langue des néologismes, des mots composés, des boursouflures, de l'emphase, la langue saturée de grec, de latin, d'italien, qui faillit presque étouffer à tout jamais sa devancière. Enfin, une troisième langue, moins naïve que l'ancienne, et qui pourtant s'y rattache, une langue qui évite (autant qu'il était possible de s'y soustraire alors) les exagérations de style de l'au- teur de la Semaine, et dans laquelle on reconnaît le souffle de vie, les premiers germes de l'éloquence française, en un mot cette langue qui se personnifie dans les mémoires de La Noue, de Montluc, et çà et là dans les Å“uvres de du Vair, de du Perron, d'Agrippa d'Aubigné et des auteurs de la Satyre Ménippée dont j'ai parlé plus haut. Du Tronchet appartient évidemment à l'école des réforma- teurs, dans ce qu'elle eut de plus enflé et de plus exagéré. 11 ne tient aucun compte de la clarté, de la naïveté, de la sim plicité, de la grâce que l'on trouve dans les conteurs et les poètes des premiers temps de la Renaissance. Il ne semble nullement se douter qu'il ait existé avant lui des chefs-d'Å“uvre. Son plus grand souci, son unique étude est de façonner à l'italienne la langue française. Si Joachim du Bellay et Desportes ont assez heureusement rendu les Italiens , du Tronchet, lui, a complètement échoué dans ce genre de travail ; s'il copie le Bembo, il ne donne aucune idée de ses gracieuses allures ; il ne lui emprunte que les subtilités d'une imagination