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176 ANTOINE BERJON. personne, et le vrai talent n'a pas plus à s'en alarmer qu'à en rougir. Cette susceptibilité qui s'effarouchait des choses les plus na- turelles et les plus acceptées par tout le monde, cette sauvagerie en quelque sorte misanthropique Berjon les devait probablement aux souffrances d'une vie de labeur et de misère qu'il avait menée à Paris pendant les premières années de son séjour. Pour en avoir l'idée, qu'on se représente un pauvre artiste n'ayant rien à attendre que de son talent, et forcé de vivre en pleine terreur révolutionnaire, au milieu du Paris de 1794, tel que l'avaient pu faire le Comité de salut public et la loi des suspects. On se figu- rera peut-être alors par quelles terribles épreuves Berjon a dû passer avant d'avoir pu en arriver simplement à s'assurer le pain de chaque jour par son travail. Combien en est-il maintenant parmi les meilleurs qui seraient sortis victorieux de cette lutte effroyable, avec un caractère moins âpre ou un cœur moins endurci ? Quoi qu'il en soit néanmoins de cette infériorité morale que nous ne devions pas dissimuler, mais qui n'est en définitive qu'une bien petite tache aux yeux de la postérité, la première, nous pourrions presque dire la seule dispensatrice des gloires et des couronnes, elle ne doit pas nous empêcher de rendre à Berjon la justice qui lui est due, en le plaçant au premier rang des peintres de fleurs de tous les temps comme de tous les pays. Joannès GAUBIN.