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                   DISCOURS DE M. HEINH1CH.                   133

 poésie, réservée aux esprits délicats des cours, que l'Italie
 devait manifester son véritable génie. Au moment où Fré-
 déric courbait tout sous sa loi, où l'autorité pontificale sem-
 blait succomber devant lui avec les libertés italiennes, une
 milice qui n'avait pour armes que la parole, pour ressource
 que la pauvreté, osait s'opposera ses efforts. Les Francis-
 cains parcouraient l'Italie, prêchant l'obéissance au Saint
 Siège, l'oubli des injures, la réconciliation au sein de l'Eglise.
 Mêlés à la vie publique, non moins par le rôle qu'ils jouèrent
 dans les luttes contemporaines que par leurs incessantes pré-
 dications, ils décidèrent plus d'une question dans ce siècle
 agité, et leur influence atteignit jusqu'à la langue et la litté-
rature. Apôtres des pauvres, parlant avec eux sans regret
 cette langue vulgaire que les savants dédaignaient encore,
 se souciant peu de ses formes irrégulières, pourvu qu'ils
pussent avec elle toucher un plus grand nombre d'âmes, ils
la vivifièrent par cette éloquence qui puise ses préceptes,
non dans les livres, mais dans le cœur. Enfin, ces mendiants,
qui ne cherchaient que la sainteté, rencontrèrent la poésie.
Leur fondateur, saint François, lègue à l'Italie, comme son
testament, ce Cantique du Soleil, premier grand monument
de la poésie lyrique italienne. Ses disciples marchent sur se&
traces, poètes comme lui, parce qu'animés du même amour
pour Dieu et pour la création, ils sentaient que la prose ne
répondait pas assez aux besoins de leur âme. Ils assouplis-
sent et épurent cet idiome formé à l'école trop sensuelle des
troubadours ; en célébrant leur dame, la Pauvreté, ils pré-
parent à Dante les mâles et chastes expressions de son amour
pour Béatrix, et tracent pour lui la première esquisse du ta-
bleau où il représentera les supplices de l'enfer et les splen-
deurs du monde invisible. Car, si créateur que soit le génie,
il a pourtant besoin d'un premier modèle, qui lui épargne
ces hésitations et ces erreurs, inséparables de tout début.