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422 VARIETES. tranquillement au dénouement soupçonné. La curiosité l'emporte sur le mépris. « La maison dont je suis le représentant a voulu mettre sa publicité à la portée de tous. Elle ne spécule pas sur une affaire d'argent. Bien loin de là , c'est une œuvre de patriotisme. Cependant, vous comprenez facilement qu'elle se trouve en présence de nécessités matérielles , et naturellement elle s'adresse à la raison des personnes qui voudront bien l'honorer de leur confiance, et leur demande une très-légère rétribution. Après avoir calculé ses frais au plus bas, elle a fixé l'insertion à 1 î. 25 c. la ligne, et le sous- cripteur recevra gratis le volume où figurera sa biographie. » Le dernier acte marche donc sans obstacle; le coup est porté, la question d'argent est sur le tapis, et, dans l'esprit de notre héros, ce n'est plus qu'un combat entre la vanité et l'avarice. Je ferai remarquer que ce protecteur du génie méconnu a bien soin de ne pas expliquer si la page aura plusieurs colonnes, ce qui multiplierait singulièrement le nombre de lignes à 1 f. 25. Mais on comprend qu'un procès est impossible, et que les illustres biogra- phies ne voudront pas initier le public au pourquoi et au comment de leur célébrité. L'entreprise, comme je le disais en commençant, est donc par- faitement en règle avec la Justice. Tout sera exactement payé, et on ne chicanera pas sur les nombreuses colonnes, qui deviendront le plus solide des appuis. Le dupé en expectative prend insidieusement la parole et demande s'il ne serait pas possible de s'entendre à l'effet de déterminer un prix quel- conque pour l'ensemble de la biographie. L'entrepreneur de renommée n'y voit aucune difficulté. Il se retire d'un pas ou deux, il mesure son homme en longueur, largeur et hauteur, et, après avoir bien cubé sa valeur morale, il répond : « Une biographie se rédige suivant le sujet. Vous concevez par- faitement qu'il est tel ou tel dont l'année et le lieu de la naissance seront les seuls faits remarquables d'une vie sans intérêt. Pour vous , Monsieur, c'est autre chose : la matière est riche et l'on ne peut pas dire des vulgarités sur votre compte. Tenez , je serai très-modéré; nous ferons l'affaire pour trois cents francs , et je m'engage moi-même, si vous n'êtes pas dans l'habi- tude de manier aussi bien la plume que le pinceau, à prendre vos notes et à rédiger votre biographie, » Non, )a pilule ne sera pas avalée, et la victime désignée commençant à se fâcher, préviendra la respectable maison de librairie, dans la personne de son représentant, que non seulement elle ne payera pas, mais qu'elle ne veut pas même figurer gratuitement dans ses colonnes. Vous croyez, simples pro- vinciaux que vous êtes, que ce monsieur comme il faut aura honte d'être ainsi repoussé avec perte, et qu'il rougira légèrement de ce que vous appelez charlatanisme ? Pas le moins du monde : il gémira de la niaiserie de ce Lyonnais épais et enfumé, et il le sermonnera doucement et poliment: — «Oh! Monsieur, ce n'est pas votre dernier mot, vous réfléchirez. A Paris, c'est reçu, tout le monde le fait, il n'y a pas d'autres moyens de sortir de l'obs- curité dans laquelle vous vous plongez volontairement. Permettez-moi de vous le dire, vous avez des scrupules bien bourgeois. Vous serez étonné quand vous verrez les grands noms qui illustreront notre œuvre. Je suis sûr qu'alors vous regretterez une si bonne compagnie. J'ai l'honneur de vous laisser un prospectus et, avant peu, nous aurons de vos nouvelles. » Il s'en va, et, malgré son échec, il n'a pas tort de spéculer sur la vanité en général. Les maîtres corbeaux ne sont pas rares : — « La claque est devenue un besoin de notre époque. Sous toutes les formes, sous tous les prétextes, sous tous les masques elle s'est introduite partout. Elle règne et gouverne au théâtre, au concert, à l'église, dans les sociétés industrielles, dans lu presse