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DariftâB. LE CHARLATANISME SPÉCULANT SUR LA. VANITÉ. Parmi les immenses progrès que nous accomplissons chaque jour , il en est un incontestable . c'est celui du charlatanisme qui triomphe sans honte et porte la tête haute. 11 n'a pas la moindre conscience de sa bassesse , et, parce qu'il s'arrange de manière à ne rien avoir à démêler avec la police correctionnelle, il se croit parfaitement honnête. Cette croyance naïve dans la légitimité de la duperie d'autrui est vraiment le plus triste des symp- tômes. Je préfère un franc voleur. 11 court au moins le risque de rencon- trer devant lui des gendarmes et des juges : c'est un combat dangereux et relativement honorable. Ce qu'il y a d'étonnant, ce n'est pas la quantité, mais souvent la qualité des dupes. Quel moyen emploie-t-on pour faire mordre à l'hameçon les gens de cette seconde catégorie ? On s'adresse à la vanité, on exploite l'amour de la célébrité, et même on avance simplement que l'intrigue est le véritable moyen de parvenir. On démonlre que la chose n'est pas nou- velle, que c'est la pratique de tous les temps, et au besoin on citerait Vitruve qui écrivait sous le règne d'Auguste : « Je m'aperçois que la faveur élève les incapables plutôt que les capables. » Animadverto indoctospotius- quam doctos gratin mperare. III pref. — Généralement jusqu'à présent, tout en pratiquant le moyen on ne l'a pas avoué, on ne l'a pas réduit en corps de doctrine, on a voilé une nudité difforme et boiteuse. Au- jourd'hui la difformité est très-bien portée, et, ce qui nous semblait un vilain modèle, est devenu un Apollon. L'univers entier connaît le grand Phinéas Taylor Barnum, illustre ci- toyen du pays où l'on professe avec le plus de dévotion le culte du progrès matériel. Il vient de publier scsmémoiies, et, naïvement glorieux, il dévoile à ses compatriotes les procédés employés par lui pour les duper , les plu- mer et escamoter leurs dollars. C'est la théorie de l'art de voler sans se compromettre avec la Justice. Du reste on est fort honnête homme , on est devenu riche , — ce qui est la grande moralité , — on cile sa bible à tout propos, et on institue un prix en faveur de l'auteur de la meilleure tragédie; — si le drame de Robert-SIacaire n'était pas depuis longtemps connu , M. Barnum lui décernerait la palme.— On achète une terre, on y construit un palais, et même on peut se donner le plaisir, tout à la fois aristocratique et démocratique, d'avoir des esclaves. Un pareil exemple est attristant, et les hommes sérieux penseront avec M. Philarète Chasles : « Quelle leçon pour ceux qui, poussant à l'extrême la morale de l'intérêt, ne voient pas qu'elle peut devenir la morale de la fraude (1). » Le problême à résoudre consiste simplement à ne pas se mettre en opposition avec la lettre de la loi. Il est peut-être plus difficile en France d'arriver à cette solution. En effet, notre magistrature sait assez torturer cette lettre pour découvrir des escroqueries que les jurés d'Amérique trouveraient parfaitement innocen- tes. Il faut donc que les Barnums français aient plus de génie que ceux des Etats-Unis, car ils marchent au milieu des embûches que nos procureurs im- périaux sont capables de leur dresser. Un monsieur d'une cinquantaine d'années, en gants jaunes et habit noir, ayant les manières distinguées et polies d'un habitant de la capitale du monde civilisé, se présente chez vous, e t , pour peu que vous soyez bon homme, vous vous empressez d'approcher un fauteuil. Si, au lieu d'être sé- duit par les gants jaunes, vous vous défiez, si vous êtes dans l'habitude de 11) Journal des DÉBATS du 18 mars 185a. Compte-rendu des Mémoires de Barnnm.