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160                      EXPOSITION DE 1854-55.
 des effets, mais un tableau n'est pas seulement un effet. La solidité, la
 linesse et la souplesse du modelé, cette exactitude, cette précision de
chaque détail, qui, dans la réalité, n'enlève rien à l'unité des masses, tout
ce qui ne s'acquiert, en un mot, que par la patience, l'intelligence et le
labeur, tout cela est un des moindres soucis de l'artiste. Tout n'est plus de-
venu qu'une affaire d'habileté de main. Tel a inventé de peindre avec des
 torchons gras ; tel autre de passer le rasoir sur la pâle qui sert de prépa-
ration •, on a trouvé des moyens ingénieux de donner aux tableaux cette
touche éraillée, ce brouillard de couleurs, dont l'aspect ne manque pas d'un
certain attrait. Les derniers pottraits de M. Coulure, par exemple, une des
espérances de la nouvelle école, ne renferment plus autre cliose.
    L'adresse mécanique a atteint les limites du possible, et lorsqu'elle, se
trouve, comme dans des exemples nombreux, jointe, à défaut, d'intentions
plus élevées, à l'amour du pittoresque, on ne peut disconvenir que les
résultats n'en soient saisissants. Il est certain que, sous ce rapport, l'en-
semble des œuvres peintes atteste un progrès réel sur ces dernières années.
Le talent est plus fréquent, et le génie plus rare que jamais. Mais, du
moins, les disciples de M. Delacroix ont aidé à nous délivrer de l'exécution
polie, luisante et glacée dont les peintres contemporains de l'empire avaient
laissé la tradition. Aussi, cette étonnante école de la couleur restera, parce
qu'elle a rendu d'éminents services d'abord, puis parce qu'elle' n'est cou-
pable que d'un esprit de système. L'élément artistique qu'elle exprime est
au fond juste et vrai. La couleur a sa poésie comme la forme et autant
qu'elle. Il y a même dans la nature un côté vague et mystérieux qu'elle
seule peut rendre. C'est à elle qu'appartient le domaine des rêveries. Que
de paysages resteraient sans charme s'ils étaient privés des chauds rayons
qui leur donnent la vie ! Comme le même site peut tour à tour être sublime
ou vulgaire, suivant les teintes variées dont le colore l'atmosphère ! Enfin,
sur certaines physionomies humaines, ne voit-on pas le teint changer avec
toutes les nuances de l'expression ? Cette enveloppe si fugitive et si belle
Dieu semble avoir pris plaisir à tisser pour la joie de nos yeux, ne paraît-
elle pas faire partie du caractère même de cette physionomie, et ne dirait-
on pas parfois qu'elle y est comme le reflet de la lumière intérieure ?
   Si l'école de la couleur affecte trop souvent de reproduire le trivial sous
prétexte de s'attacher au réel, si elle se soucie assez peu de la pensée et de
l'intérêt moral des sujets, si elle dédaigne le côté plastique de l'art et affiche
volontiers le mépris de l'idéal, l'école opposée lui cède peu en esprit
de système. Les grandes qualités de M. Orscl ne l'avaient pas empêché
d'exagérer dans un certain sens M. Ingres. On a encore exagéré M. Orsel.
Les tableaux de M. Ingres ne visent sans doute pas aux prestiges du clair-