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                  DE GRIMOD DE LA REYN1ÈRE.                       97
ce qui ne peut manquer, d'arriver lorsqu'une fois on s'est rendu
suspect et que notre correspondance est en surveillance. Quoique
tout ramène au sujet qu'il faut éviter, il est cependant assez facile
de s'en écarter en se jetant à corps perdu dans la morale, la litté-
rature, la philosophie, l'art dramatique, ou dans les détails d'af-
faires particulières. De toutes façons, ce parti est encore le
meilleur, quand même il ne serait pas conseillé par la prudence ;
il fournit une distraction utile, une diversion consolante aux
idées tristes qui nous pressent et qui nous assiègent. Je vous
assure que jamais les lettres agréables et les spectacles amusants
n'ont été plus indispensables. L'esprit a besoin d'être distrait, le
cœur d'être occupé, les yeux d'être amusés. Si tout le monde
avait pensé ainsi, la révolution ne compterait pas tant de victimes
et nous ne serions pas où nous en sommes. Si, par exemple, les
émigrés fussent restés tranquillement en France, occupés de
plaisirs et d'amusements, nous ne serions pas en guerre aujour-
d'hui avec toute l'Europe, et vous n'auriez pas eu cette foule de
lois vexatoires       dont les circonstances ont été le prétexte et
qu'elles paraissent avoir nécessitées, le Roi vivrait encore et eût
fini par épouser de bonne foi une constitution qui lui donnait
encore un éclat passager , et à l'ombre de laquelle il eût même,
petit à petit, ressaisi une bonne partie de son autorité. Au lieu
de cela, qu'est-il arrivé ? vous le savez mieux que moi, et il serait
aussi imprudent que douloureux de le rappeler. J'en conclus qu'il
faut plus que jamais songer à s'amuser, à se distraire et éloigner
de soi toute idée noire, car nous nous rendrions malades et mal-
heureux sans compensation. Il faut que beaucoup de gens pensent
ainsi à Paris, où l'on assure que les 38 théâtres sont pleins chaque
jour. Ainsi, tandis que les extravagants vont souffler dans les
 clubs, dans les sections et autres assemblées politiques, le feu de
 la discorde et le souffle empoisonné de tous les crimes, les bons
 citoyens vont puiser dans les nombreux spectacles un délassement
 agréable, une délectation utile et une nouvelle dose de courage
 contre les maux dont ils sont les victimes. Voilà, Monsieur, une
 longue dissertation, et je ne vous ai pas dit encore un mot de
 votre lettre , mais vous êtes accoutumé à mes perpétuelles diva-