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464 UNE PROMENADE EN SUISSE
l'intelligence, les recherches patientes, l'argent, on n'a rien
épargné ; depuis le monstre ciselé dans le cuivre qui grimace
à la porte, jusqu'à la tour qui sert d'abri aux pigeons du ma-
noir, tout est gothique , tout jusqu'au cerbère femelle, soi-
gneusement conservé sans doute, depuis le XIV e siècle, pour
compléter l'illusion des curieux.Malgré ces préoccupations ar-
chéologiques, partout régnent la plus noble élégance et le
confortable le mieux entendu ; appartements d'hiver, appar-
tements d'été, boudoirs, réduits charmants et parfumés, ten-
tures de soie , marbres rares, meubles précieux par la matière
et par le travail, rien enfin ne semble manquer à la félicité
des heureux possesseurs de toutes ces richesses... rien que
le goût d'en jouir. Unique rejeton d'une famille nombreuse,
M. C... voit sa race s'éteindre en lui et demande en vain au
ciel un héritier pour sa fortune et son nom.
Quand vient le soir, nous montons dans une petite nacelle,
vraie coquille de noix dont les moindres balancements arra-
chent à ces dames de lamentables cris d'effroi. Nous voguons
quelques instanls sur celte nappe azurée, mais silencieux,
tristes, regardant autour de nous , indifférents et comme
étrangers au spectacle déroulé sous nos yeux... La veille, et
sur ce même lac , nous avions passé quelques-unes de ces
heures qu'on n'oublie plus, et maintenant nous allions le
cœur vide et l'esprit distrait...; et pourtant le ciel était aussi
pur, les flots aussi calmes, les rives plus riches et plus em-
baumées !.. Ah ! c'est que l'homme est ainsi fait, tout en lui
est borné, ses joies comme ses douleurs, et il voit aujourd'hui
sans sourires ou sans larmes les mômes objets qui, la veille ,
illuminaient ou assombrissaient son front.
Fatigués , nous remontions sur la terrasse, quand tout Ã
coup, comme si un enchanteur eût renouvelé ces lieux ou
dessillé nos yeux obscurcis, nous restons immobiles; c'était un
vrai coup de théâtre : dégagée des vapeurs qui la voilaient na-