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l'ÉLOPONÈSË. 479 comme il aime la patrie ; il natt poète en même temps que guer- rier. S'il éprouve de la tristesse ou de la joie, il chante; des chan- sons sont composées pour tous les instants de sa vie, pour toutes les phases solennelles de son existence. Les pères les trans- mettent à leurs fils ; et on ne les trouve nulle part écrites. C'est une poésie traditionnelle, sans nom d'auteur, sans origine connue, sans célébrité ; elle se retrouve dans le cœur des Grecs toutes les fois qu'ils ont un sentiment à exprimer. Il existe cependant une classe d'hommes qui semble s'être chargée du dépôt sacré de cette poésie. Ce sont les aveugles ; c'est parmi eux aussi qu'on trouve le plus grand nombre d'im- provisateurs. Ils parcourent la Grèce entière, fréquentent sur- tout les villes à l'époque des panegyris (foires), se rencontrent dans les campagnes, assis sur le bord des fossés, aux endroits où les chemins se croisent. Ils redisent les vieilles chansons ou chantent celles que leur génie leur inspire tout à coup. Cette poésie se distingue par son originalité, sa hardiesse, la vérité de ses tableaux et un sentiment profond de la nature. Elle s'é- lève parfois jusqu'au lyrisme et prend les allures libres et pri- mitives du génie de Pindare. J'en ai rencontrés souvent de ces rhapsodes aveugles et nomades, vieille race qui vit, chante, mendie depuis Homère, et se rattache à lui par une chaîne non interrompue. Ils chantaient en s'accompagnant d'une espèce de violon à trois cordes. J'écoutais et je m'attendais à recueillir de leur bouche quelques vers encore inconnus de l'Iliade, cette rhapsodie sublime, à laquelle plusieurs hommes de génie ont peut-être travaillé. Mais ce ne sont plus les noms d'Hector, d'Ulysse, d'Achille et d'Agamemnon que célèbre leur poésie ; ce sont ceux d'Àli-Tébélen, de Nikitas, Grivas, Colocotronis, Andrikos ; ce ne sont plus les troyennes immolées sur le cada- vre de leurs époux, mais les femmes des Klephtes se battant comme les hommes, et expirant comme eux sur le champ de bataille. Ce n'est plus Troie, enfin qu'ils chantent ; c'est Souli, avec ses sept châteaux et son siège qui dura dix ans aussi. E. YEMENIZ.