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344                      CHRONIQUE ARTISTIQUE.
non seulement au poète , mais au spectateur, ce qui n'arrive pas toujours,
lémoin tant de pièces que je ne veux pas nommer ici.
    La comédie de M. Augier procède, d'un ordre d'idées tout différent ;
abondante en traits spirituels, toute étincelante, jouant avec les jolis mots
comme avec un éventail à paillettes, cette comédie ne vit pas de la vie
réelle ; elle n'a pas les pieds sur terre ; elle se meut dans un monde étrange
qui n'est ni le monde que nous habitons, ni le monde de l'idéal ; c'est un
très-joli proverbe en vers, mais ce n'est pas une comédie ; pourquoi se '
passe-t-elle au XVIIIe siècle plutôt qu'au XIX e ?... Qu'est-ce que cette
petite fille à qui un désœuvré fait à brûle pourpoint une injurieuse décla-
ration d'amour, et qui saule de joie en l'écoutant, parce que celte déclara-
tion lui apprend qu'elle n'est pas aussi laide qu'elle se l'imaginait ? Est-ce
que ce sentiment de joie, au lieu d'éclater en premier lieu, ne devait pas
suivre l'indignation, qui semblait d'abord toute naturelle en cette occasion.
Avec de pareils traits et de telles audaces, Pliiliberte ne m'apparaît plus
qu'en proie à une idée fixe : celle de la laideur, et j'avoue que cette mono-
manie ne me touche guère, surtout quand je vois tout le monde s'empresser
autour d'elle. Je cherche vainement dans cette œuvre une pensée morale
quelconque, et le caractère principal me paraît manquer tout à fait de
naïveté. Quant à la science du vers comique, ce n'est pas moi qui la contes-
terai à M. Augier, et tovit en admirant sincèrement son talent, je souhaite
qu'il aborde plus résolument les réalités sociales , et que non seulement il
cherche à nous amuser, mais aussi à nous moraliser. Le but de la comédie
est là.
    M. Bondoisa créé le rôle de George avec beaucoup de tact, et Mmc Rogcr-
Solié est charmante dans le rôle de Liicile ; elle a été pleine de verve et,
d'esprit ; sa diction est parfaite ; elle a sauvé, à force de grâce légère, les
hardiesses de ce rôle.
    Que dire des Filles de marbre ? L'intention est bonne ; l'esprit n'y
manque pas ; c'est encore une pièce à louer, parce qu'elle a un but, parce
qu'elle s'occupe de choses qui nous pressent de tous les côtes. Seulement,
on a placé trop haut l'héroïne, cl le héros est trop brillant. Que diable ! il
y a peu de filles de marbre qui soient prima donna au théâtre italien ; il y
a peu de Phidias qui meurent d'amour pour elles, il faut bien en convenir.
Ni les hommes ni les femmes n'auront voulu se reconnaître dans ce miroir.
Ce sujet a été trop idéalisé par les auteurs, et j'aurais voulu qu'ils se tinssent
plus près de la réalité, afin que la leçon fût plus directe. M me Roger-Solié
a été superbe de froideur et de dédain dans le rôle de Marco ; et quand
Jullian lui chante la fameuse chanson des pièces d'or, avez-vous remarqué
sa manière d'écouter? en même temps que la femme semble rougir jusqu'au
blanc des yeux , l'actrice garde un sourire ironique ; Bondois a joué avec
vigueur ; l'indignalion engendre les bons vers, comme dit le poète, et elle
l'ait aussi les bons acteurs.
                                                                .1. T.




                                      AIMÉ VINGTEIMIEK, direcleur-géranl.