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206 DE LA FOLIE. j'aime à penser qu'un mal si agressif ne vient pas absolu- ment et uniquement de l'homme : qu'il a eu, en surcroît, une cause plus mauvaise, plus damnable que lui ; et en revenant à mes croyances, qui me révèlent si magistralement cet ordre spirituel, je me plais à en voir la preuve évidente dans l'in- signe faveur de la rédemption, qu'Adam, moins coupable que Lucifer, a reçu de son Dieu outragé. Vraiment, celle théorie surnaturelle satisfait mieux ma raison sur le mystère du mal que les petits dédains d'une science sceptique, si impuissante à l'expliquer. Que dis-je ? Il n'est, à cet égard, si pauvre Credo de Sauvages qui ne lui soit supérieur, de toute la supériorité d'une affirmation, même défigurée, sur une négation qui s'ignore. Mais, quoi ! le langage humain, cette formule instinctive et nécessaire de toute vérité , n'est-il pas , à lui seul la vi- vante démonstration de cette doctrine? Vous dites d'un homme, qui excède volontairement dans le mal, que sa pas- sion, quand il est arrivé à un certain point, l'emporte , qu'il n'est plus maître de lui, qu'il est aliène , enfin! Qu'est-ce donc à dire ? Subjectivement parlant, qu'est-ce qu'une pas- sion seule pour emporter un homme ? S'il n'est plus son maître , qui donc l'est alors ? Ce sens qu'il a perdu , qu'esl- il donc devenu? qui l'aura pris ou trouvé? celle aliénation de l'espril, au profit de qui s'est-elle accomplie?.. Je vous le dis, moi, sans hésiter, dût l'orgueil rationaliste s'en scan- daliser ! cet être qui, par sa faute, ne se possède plus, est (ad- mirez ce mot chrétien !) possédé. Cet aliéné a donné à un au- tre le domaine de son être ; et c'est l'Esprit de ténèbres, le Grand mauvais (comme le nomme St-Paul, qui était assez bon philosophe) le démon , enfin, qui a dû être le provoca- teur et le bénéficiaire de ces avilissements et de cette abdica- tion de l'âme. « La liberté effrénée de la passion, dit avec sa haute rai-