Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
[ Revenir aux résultats de la recherche ]
page suivante »
380             ÉTUDE SUR L'HISTORIEN GIBBON.
Plus tard, il sut trouver, dans sa position de membre du Parle-
ment, un excellent moyen d'augmenter ses revenus (1).
   Gibbon, élu député par le bourg de Leskeard , vint siéger, en
1774, au début de la mémorable querelle entre la Grande-Breta-
gne et l'Amérique. Lord North était premier ministre et se mon-
trait le patron ardent des mesures oppressives qui poussèrent
les colonies à la révolte contre la mère-patrie , et finirent par
amener leur indépendance. Il y avait là une des plus grandes
questions qui puissent être soumises aux délibérations d'une as-
semblée nationale. Ce furent aussi de beaux tournois d'élo-
quence, que ces luttes parlementaires où l'on vit combattre un
Thurlow, un Wederburne pour le ministère ; un colonel Barré,
un Edmond Burke, un comte de Chatam dans les rangs de l'op-
position. Qui ne s'attendrait à voir Gibbon, au sortir d'études
prolongées pendant l'espace de vingt ans, formé par la lecture
des grands écrivains de l'antiquité, avec une mémoire meublée
de tant de richesses historiques et littéraires, un jugement mûri
par de si profondes méditations, qui ne s'attendrait à voir Gib-
bon grossir l'essaim de ces orateurs éminents, et jeter le poids
de son talent dans la balance qui allait peser les destinées d'une
grande nation ? Et pourtant il n'en fut rien. Gibbon n'entra au
parlement que pour augmenter la foule de ces députés vulgaires
qui s'ébranlent seulement lorsqu'il faut déposer dans le scrutin
un vote acheté d'avance par le pouvoir.
   Gibbon manquait des qualités les plus nécessaires à l'orateur.
Il faut que l'orateur possède une certaine beauté noble, un en-
semble de proportions physiques qui, vues à distance, impres-
sionnent favorablement l'auditoire ; or, Gibbon était laid, non de
cette laideur produite par l'exagération des traits, et qui, de loin,
disparaît pour ne laisser voir, comme dans Mirabeau , qu'une
majestueuse énergie, mais d'une laideur ignoble et plate. Gibbon
avait une corpulence massive, portée sur deux jambes grêles, une
tête énorme, des traits discordants, un œil terne, sans expression,
une physionomie commune. 11 faut à l'orateur une imagination

  (I) Lettre à M. Doyverduu,