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520 RÉTIF DE LA BRETONNE. Car, s'il y a en lui du Diogène, il y a aussi du Berquin. Que lui importent les salons, les boudoirs, les lecteurs titrés ; il transportera le roman dans la boutique et dans l'éclioppe. Il intitulera ses nouvelles: la belle bouchère, la belle marchande de vin, la jolie fruitière,la belle charcutière, etc., et ainsi de suite pendant quarante volumes.Les dérèglements involontaires ou calculés de sa vie, loin d'épuiser la verve de l'auleur, semblent aider à sa fécoudité. Ecri- vain et typographe, il compose lui-même ses ouvrages sans les écrire. Sa main s'est lassée de la plume comme d'un instrument trop lent, il lui faut des carac- tères d'imprimerie à manier. Sa verve n'en souffrira pas. Cette exhubérance de sève et de tempérament, celte exacerbation conti- nuelle des facultés, cette fougue , ou plutôt cet éréthisme permanent le font ressembler de loin à Une caricature de Diderot, l'homme qui a le mieux et le plus improvisé de son siècle. Mais Diderot se contentait de parler, et c'é- tait un grand virtuose en paroles, un incomparable artiste. Rétif, lui, a plus de chaleur que d'imagination. Il brûle sans briller. Les bonnes fortunes de style sont rares chez lui et aussi la fantaisie, l'esprit, le tour vif el inattendu, l'art de saisir et d'exprimer le côté gracieux ou piquant des choses. Où au- rait-il pris le temps de distiller une pensée et d'en renfermer l'essence dans une phrase transparente et finement taillée? Comment se serait-il essayé à tendre les ressorts d'une période afin de lancer le mot plus loin. Pour qu'il puisse se recueillir en lui-même, il est trop obsédé par la violence de ses propres sensations. Le sang lui bat aux tempes, l'impatience le dévore. De là ce qu'il y a de haletant, de coupé, de décousu, de vulgaire dans sa ma- nière de conter. Ni exposition, ni dessins, ni couleurs, ni arrangement dans la mise en scène. Des récils courts et nus, uu style sec malgré son abon- dance, il court et effleure tout et n'appuyé que sur les points graveleux. C'est son faible, comme c'était celui de son siècle. Le fumier de Rétif ne contient pas autant de perles que celui d'Ennius ; on en pourrait extraire cependant quelques-unes. M. Gérard de Nerval cite cette pensée .- les mœurs sont un collier de perles, ùtez le nœud, tout se défile. En voici quelques autres : Les femmes doivent nous donner nos vertus comme nos plaisirs.— Le célibataire est une fin d'homme.— Quand la vertu ne soutient plus les Empires, c'est la molesse qui les tranquillise. Celte dernière pensée sent sou Montesquieu, elle eu est digue. Un autre fait qui explique la précipitation ella brièveté du récit de Rétif, c'est sa tendance à se montrer moraliste et réformateur en tout et à propos de tout. Nous touchons là à sou tic le plus saillant, c'est chez lui une vérita- ble mouomauie, une maladie de sou esprit. Logez cette maladie dans une nature ardente et sensuelle, figurez-vous les combats, les tiraillements qui