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422 JUGEMENT DE M. DE LAMARTINE SUR LAFONTAINE. inégaux, sans symétrie ni dans l'oreille ai sur la page , me re- butaient. D'ailleurs, ces histoires d'animaux qui parlent, qui se font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs, avares, sans pitié, sans amitié, plus méchants que nous, me soulevaient le cœur. Les fables de Lafontaine sont plutôt la philosophie dure, froide et égoïste d'un vieillard, que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d'un enfant : c'est du fiel, ce n'est pas du lait pour les lèvres et pour les cœurs de cet âge. Ce livre me répugnait ; je ne savais pas pour- quoi. Je l'ai su depuis : c'est qu'il n'est pas bon. Comment le livre serait-il bon ? l'homme ne l'était pas. On dirait qu'on lui a donné par dérision le nom du bon Lafontaine. Lafontaine était un philosophe de beaucoup d'esprit, mais un philosophe cyni- que. Que penser d'une nation qui commence l'éducation de ses enfants par les leçons d'un cynique ? cet homme qui ne con- naissait pas son fils, qui vivait sans famille, qui écrivait des contes orduriers en cheveux blancs pour provoquer les sens de i a jeunesse, qui mendiait, dans des dédicaces adulatrices, l'au- mône des riches financiers du temps pour payer ses faiblesses ; cet homme dont Racine, Corneille, Boileau, Fénelon, Bossuet, les poètes, les écrivains ses contemporains, ne parlent pas, ou ne parlent qu'avec une espèce de pitié comme d'un vieux en- fant, n'était ni un sage ni un homme naïf. Il avait la philoso- phie du sans-souci et la naïveté de l'égoïsme. Douze vers sono- res, sublimes, religieux d'Athalie, m'effaçaient de l'oreille toutes les cigales, tous les corbeaux et tous les renards de cette ména- gerie puérile. J'étais né sérieux et tendre ; il me fallait dès-lors une langue selon mon âme. Jamais je n'ai pu, depuis, revenir de mon antipathie contre les fables. LAMARTINE. Entretien avec le lecteur. Conseiller du Peuple, rS5o, pages ?.g et So,