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414 DE L'ESPRIT DE LAFONTAINE. pas quelque chose de purement spéculatif, c'étaitl'art, non de bien penser, mais de se bien conduire, surtout de façon à éviter les mécomptes. De nos jours, nous inclinons à croire que la vie est plutôt faite pour être connue, que pour être pratiquée ,• et de là cette opinion courante, que celui-là est le plus sage qui est le plus éclairé ; de là cette tendance à moins nous occuper des mœurs que des lumières. Chacun contemple son propre cerveau comme un cadran où il doit suivre d'heure en heure l'évolution des idées. Quel système hier ? Quel système demain? Suis-je en avance? Suis-je en retard ? Nous agissons ainsi qu'un pilote qui ajou- terait voile sur voile, et diminuerait le lest. Lafontaine, comme tout le XVH" siècle, songea surtout au lest; il considéra, en dehors de tout esprit systématique, la vie comme une chose à pratiquer, il s'appliqua à fortifier l'homme, à l'as- seoir solidement sur la réalité, et c'est en cela qu'il a été admi- rable, qu'il a été excellement humain, comme nous le disions tout à l'heure. Le précepte qu'il répète peut être le plus souvent est celui-ci .- compte sur toi, aide-toi, reste ce que tu es, ne force pas ton talent, si tu n'es qu'un corbeau n'essaye pas, comme l'aigle, d'en- lever un mouton, et il a ajouté : attache-toi au comptant, préfère le grain de mil à la perle, au carpillon pris, le carpillon à pren- dre, aide ton voisin, imite la colombe et tends comme elle un brin d'herbe à la fourmi qui te payera un jour de ce service; fais à ta guise comme le meunier, sans t'inquiéter des quolibets des passants; sois économe, adroit, un peu défiant; ne fatigue pas les Dieux de tes demandes, sois sûr que Jupiter ne prendra pas sa massue pour tuer une puce ; ne baille pas aux chimères comme l'astro- logue, et ne te leurres pas trop des rêves de Perrette. Le modus, in rébus des anciens est encore un des points sur lesquels il in- siste le plus ; après cela, dira-il, C'est folie De compter sur dix ans de vie. Soyons bien buvants, bien mangeants, Nous devons à la mort de trois l'un en dix ans.