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410                DE L'ESPRIT DE LAFOiNTAlNE.
   Tel est l'homme qui ressuscitera la fable ; est-il païen, est-il
chrétien? c'est une question qu'il est permis de se faire, enlisant
ses fables. L'idée d'une autre vie n' apparaît jamais dans ce qu'il
écrit ; avant tout, il est homme : « Homo sum, » peut-il dire
avec Térence ; c'est là son titre, c'est là le secret de son génie :
vous ne surprendrez en lui ni préjugés, ni passions religieuses ou
politiques, rien de ce qui différencie l'homme dans la durée ou
dans l'espace. Qu'on essaie, la plume à la main, de noter les
moralités de ses apologues, de suivre pas à pas sa pensée, de
la serrer de près, on sera frappé du caractère général et éminem-
ment national de sa philosophie. Car, le bonhomme, n'en dé-
plaise à ceux qui le citent sans le lire, a une philosophie et une
philosophie très-socratique, très-pratique. Pour lui, comme pour
Descartes, l'homme est le point de départ et la fin de toutes ses
leçons. Le mot de Pascal : « ni ange, ni bête, » sera sa devise ;
aussi, ne lui demandez ni enthousiasme, ni exaltation héroïque,
ni vertu surhumaine. Le côté chevaleresque de l'époque féodale
ne le séduit pas ; de cette médaille autrefois brillante il connaît
le revers, revers taché de sang, où, avec le menu peuple, il a lu :
Dévastation, brigandage, oppression. Au contraire, il a, au plus
haut degré, la grande qualité du tiers-état, la vertu bourgeoise
et démocratique par excellence, le bon sens, cet inflexible bon
sens qui ne demande aucune couronne, et qui est impitoyable
dans sa soif de justice et d'égalité.
   Tout ce que l'on a dit de Montaigne et de Molière peut s'appli-
 quer à Lafontaine, il est de la même argile, de la même lignée.
 Parmi tous les hommes que la France a produits, il n'y en a
pas qui soient plus grands, parcequ'il n'y en a point qui portent
au même degré le sceau de son esprit ; ils sont tous trois au cœur
même de la tradition française, tous trois sont hommes intus
et incute, et c'est par là qu'ils sont révolutionnaires à leur ma-
nière, qu'ils préparent le XVIIIe siècle, comme toute la littéra-
ture classique l'a, du reste, préparé. Car un siècle, quelqu'ilsoit, a
toujours sa raison d'être dans le siècle qui le précède, ce n'est
pas Voltaire qui a définitivement relégué le moyen-âge dans
les ténèbres de la barbarie ; avant lui, Fénclon. Racine, Cor--