Revue du Lyonnais » série 2 - n°2 ( 1851 ) » pp.256

256                          LA JUNG FRAU.
ton front. Oh ! oui, jeune fille reste voilée, car le regard des
hommes exerce de funestes [influences sur le front des vierges.
 Reste voilée, car je suis jaloux. Moi seul je veux avoir le droit
 de te contempler face à face et de m'enivrer du spectacle de tes
magnificences. Mon œil pénétrera ton voile ; mes pas franchiront
 les abîmes ; car il te suffira, pour les combler, de secouer la
chaste poussière de tes pieds, et il n'y aura plus de barrière
entre nous deux.
    « Autour de toi les torrents grondent, comme la voix de l'esprit
du mal, comme l'ennemi autour de la forteresse qui se défend.
 Mais je vois les torrents s'enfuir avec des gémissements furieux ;
 le démon est vaincu : la jeune fille est demeurée vierge.
    « Dis-moi, ma fiancée, quels sont tes rêvés de la nuit ? quels sont
tes désirs du jour. Le souvenir de nos amours est-il dans ton
 cœur? Oh! oui, tu m'aimes encore; car j'entends que tu m'ap-
pelles ; j'entends frémir autour de moi le doux nom d'amant ;
je sens ton haleine qui passe sur ma figure, et ton regard qui
m'attire ! Adieu larmes et douleur ; ma fiancée, je vais à toi !... »
    Ici s'arrête le récit de l'étudiant. Il partit seul et sans guide,
 se dirigeant vers la montagne enchanteresse, à travers les gorges
profondes, les ravins et les glaciers impénétrables. Nouvel Or-
phée, il a voulu ramener sa fiancée sur la terre, et comme lui sans
doute, il aura cherché la mort. Mais les échos du fleuve Pénée
ont longtemps répété les accents de la voix harmonieuse qui ap-
pelait ; Eurydice, Eurydice ! tandis que ceux de la vallée d'Inter-
lachen n'ont pas gardé le souvenir des plaintes du pauvre étu-
diant. Il a passé par là, mystérieuse existence, comme une de ces
créations surnaturelles, demi-dieux ou génies, dont les anciens
peuplaient les montagnes, les fleuves et les forêts, et qui, sortis
tout formés du sein de la nature, y rentraient sans bruit et sans
laisser trace de leur passage.               EUGÈNE YEMENIZ.


                ERREUR ESSENTIELLE A CORRIGER.
  Dans le dernier N° de la Revue, page 12 5, à la 3i e ligne, au lieu de : que
Young n'eut jamais qu'une fille, lisez : n'eut jamais qu'un fils.

                                     XEON BOITEL, directeur-gérant.