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330 NOTICE BIOGRAPHIQUE teurs, il eut aussi de nombreux critiques. Il s'adressait à l'es- prit et ne parlait presque jamais au cœur. On applaudissait plutôt la manière de dire que ce qu'il disait. Son imagination vive, ardente lui faisait saisir, avec une adresse inconcevable, ce qu'il y avait de grand et de beau dans une expression, dans un mot qui venait sans art se placer sous sa plume ; il l'ana- lysait, il le présentait sous toutes ses formes dans de nombreu- ses antithèses ; il l'épuisait, pour ainsi dire, en le tournant et le retournant en faveur de son sujet, et il faut le dire aussi tou- jours avec succès. C'est ce qui rend ordinairement sa période sans fin ; on le croit arrivé à son but, il faut encore l'attendre, mais on l'attend avec plaisir, parce qu'il intéresse par les aper- çus nouveaux qu'il sait donner à sa pensée. L'abbé Bonnevie ne tient, par son éloquence, à aucun des grands maîtres dans l'art si difficile de la chaire. 11 n'est le disciple ni de Bossuet, dont la magnificence et la profondeur seront toujours inimitables ; ni de Massillon, dont la douceur, la richesse du style ne peuvent être égalées ; ni de Bourda- loue, dont la logique, pleine de force , se présente aux lecteurs par une suite de raisonnements si bien enchaînés les uns aux autres, que rien ne peut les détruire, pas même les ébranler. L'ab- bé Bonnevie ne ressemble qu'à lui-même. Orateur original, si je peux parler ainsi, il n'a point eu de maître, il s'est créé tout seul. Il parut dans la chaire dans un beau moment pour son talent que je peux appeler incompris. On avait besoin d'un orateur chrétien ; depuis trop longtemps, on en était sevré. Il parut avec hardiesse , il parut avec sa belle figure, ses grands gestes, sa voix douce et sonore en même temps; il plut, on ac- courut en foule à ses sermons. Quelques-uns ont prétendu qu'il y avait quelque chose de Chateaubriand dans son style, comme il y avait du Talma dans son action. Nous ne sommes nullement de cet avis. Laissons Talma à ceux qui l'ont vu et entendu ; mais l'abbé Bonnevie était loin de vouloir imiter le grand tragique dans la chaire chré- tienne , qui ne se prête nullement aux mouvements instinctifs de la nature dans ce qu'elle a de plus saisisant, de plus se-