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268 LETTRES SDR LA SARDAIGNE. sion ou quelque démon le pressant, il se jeta sur cette proie et commença un affreux carnage. Les pasteurs de Macomer ac- coururent au secours de leurs brebis, et mirent fin au repas de l'ours en le tuant sans miséricorde. En ce moment, le sa- voyard arrivait armé d'un bâton, à la poursuite de son élève fugitif; mais les bergers n'écoulant que leur fureur, le sai- sirent et lui campèrent impitoyablement deux balles dans la tête. Au matin, un bouvier les ayant aperçus, avait placé sur son char le savoyard et l'ours, et les avait ramenés à la ville. Macomer n'offre rien d'attrayant à l'oisiveté des voyageurs. Aussi, après quelques heures de halte, je quittai ce village qu'eût aimé Salvator Rosa, et m'enfonçai résolument dans les collines supérieures. De grands rochers fauves dressaient dans le ciel leurs pitons, aigus comme des aiguilles gothiques, où parfois la silhouette bizarre d'un cavalier solitaire se dé- coupait sur l'azur du ciel. Des torrents de pierres roulantes traçaient aux flancs de la montagne des lignes plus blanches, et se précipitaient au fond du ravin, à travers les lauriers roses et les lenlisques renversés. Il me fallut grimper, pendant uneheureou deux, contre ces parois de granit, embrasées par un soleil implacable, pour avoir ensuite le plaisir de redes- cendre dans la plaine, mais dans une plaine verdoyante et fleurie, se relevant un peu à ses extrémités en gracieuses col- lines, couronnées d'arbres immenses. Une fois sorti des gor- ges de Macomer, la route jusqu'à Sassari ne traverse plus que de vastes forêts d'arbres verts, des campagnes heu- reuses, des solitudes attrayantes ou des vallées fraîches et hu- mides. Mais ces forêts séculaires sont profanées, exploitées sans règle ni mesure, indignement dévastées . au nom du Gouvernement piémontais, par la maison Bianchi. Les squelettes géants de ces arbres mutilés, gisent le long de la route attendant que les bœufs les charrient jusqu'au rivage pro-