page suivante »
LETTRES SCR LA SARDAIGNE. 261 reux pays, pensai-je, où les saints sont sensibles aux char- mes de la beauté, et comptent encore comme influence réelle, tandis que chez nous, hélas, ils sont réduits simplement à jouir d'une bonne renommée philosophique. Et pourtant il y a quelque chose de respectable et de touchant, dans cette foi naïve et profonde, dans ces superstitions saintes, qui font la consolation de la vie. « Une orpheline, riche et jolie comme l'était Anita, ne pouvait manquer d'adorateurs; aussi tous ceux qui avaient encore quelque jeunesse dans le cœur, à San-luri, en devin- rent-ils bientôt amoureux, et chaque soir une foule de sou- pirants se réunissaient aux alentours de sa maison. Là . ca- chés sous l'ombre d'un balcon, où derrière le tronc d'un palmier, ils guettaient la belle fllle, à son retour de l'église, pour lui décocher au passage une œillade assassine ou quel- que galant madrigal. La nuit venue, on en voyait quelques- uns rôder sous ses fenêtres, attendant que l'ombre adorée se dessinât sur les murs, tandis que d'autres, plus hardis, par conséquent moins amoureux, improvisaient en chœur, au son de la laoneda, quelques couplets en son honneur. Le jour, sans doute, ils allaient soupirer dans les bois, écorchant le tronc des orangers, effeuillant les fleurs de grenade, se li- vrant enfin à toutes ces innocentes et sentimentales bêtises, en usage chez les amoureux de tous les pays, depuis la nais- sance du monde. Mais la belle orpheline demeurait insensible à leur peine, fière et distraite, elle n'avait pas même un sou- rire à donner en consolation à ces pauvres amants. Aussi, découragés par ses rigueurs, leur nombre diminuait sensible- ment, et la belle devenait de plus en plus sauvage. D'abord, huit jours durant, sa porte demeura close ; puis, un soir, un galant endurci crut voir, derrière ses vitres, passer une om- bre masculine, enfin,par un beau dimanche, sa place à l'église demeura vide, et, de ce jonr, on ne la vit plus à San-luri.