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LETTRES SDR LA SARDAIGNE. 257 maison , pour apercevoir Anita, qui pourtant n'avait pour lui que de l'indifférence. « Enfin , obsédé par son espionnage journalier , craignant aussi pour ma fille l'excès de son amour dédaigné, je fus me plaindre au juge, et le lui dénonçai comme un malfaiteur qui, la nuit, rôdait autour de ma maison. Le juge le fit donc ar- rêter, et il passa quelques jours en prison. J'espérais bien que son amour ne résisterait pas à cette épreuve ; mais ce fut pour lui un affront si sensible , qu'il a quitté le pays pour toujours. Juancho jura qu'il vengerait son frère et l'honneur de leur nom outragé. Depuis ce jour Mais un coup violent ébranla la porte , qui s'ouvrit : et le vieillard poussa un cri terrible, et Juancho , le regard enflammé , d'une main tenant sa carabine , de l'antre relevant les plis de son manteau , se précipita dans la chaumière. A la vue de la jeune fille, il s'arrêta d'abord avec hésitation; puis la saisissant par les deux mains , il l'entraîna dehors et poussa la porte sur elle. Alors venant à moi : Moine , me dit-il, confesse ce vieillard qui va mourir. Le pauvre Anselmo n'éleva môme pas la voix pour im- plorer son ennemi ; mais, se prosternant à mes pieds, il se pré- para à la mort. Il régnait alors dans la chaumière un silence mortel, que troublaient seuls les sanglots étouffés de la jeune fille , mêlés aux plaintes de l'ouragan. Juancho était adossé à la muraille ; la flamme du foyer, agitée par le vent, on- doyait ça et là , et les caprices de la clarté mouvante qui il- luminait par moment sa tête, semblaient les images symbo- liques des débats effrayants qui torturaient son âme. Un moment après , sur un geste impératif de Juancho , je sortis delà chaumière. J'essayai d'entraîner Anita, assise immobile sur le seuil de la porte ; mais elle ne me répondit pas, et comme les instants étaient précieux, je courus vers San-Luri, pour avertir les chevau-légers, et prévenir un malheur , s'il était temps encore. 17