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214 DEKNIÈRES JOURNÉES
milieu d'oscillations et d'un chaos qui avait peine à s'éclaircir.
La République était là , mais encore dans le nuage. Lamartine
partageait l'embarras général de ses collègues. Un premier projet,
rédigé par lui et signé des membres du gouvernement provisoire,
ne contenait pas expressément le mot de République, ni ceux
même de Gouvernement républicain. Il commençait ainsi, à ce
que nous assure une personne qui a vu et tenu cette pièce : « Le
roi Louis-Philippe est déchu. » Lamartine ratura de sa main les
mots : Le roi, et mit: « Louis-Philippe n'est plus roi. » Quel-
ques voix murmuraient autour de lui : « C'est un légitimiste, un
carliste. » Ce premier projet fut abandonné, et remplacé par
celui qui a paru : « Le gouvernement de la France est le gouver-
nement républicain. »
Le cri de : Vive la République ! retentit dès lors dans Paris.
Tout le monde l'accepta. Il était plus particulièrement le symbole
des ouvriers, des travailleurs. Ils se montraient encore ça et lÃ
défiants. J'en eus une preuve, le jeudi soir, dans une scène dont
il ne faut pas sans doute s'exagérer l'importance , mais qui ne
laisse pas d'être caractéristique. C'était à la Place Royale, le prin-
cipal point de jonction, soit de départ, soit de retour, des colon-
nes du quartier Saint-Antoine. L'une d'elles, assez forte , avec
de la foule autour d'elle, était arrêtée devant le balcon de la
mairie, d'où on la haranguait. Victor Hugo , qui demeure quel-
ques maisons plus loin , y parut, et fit signe qu'il voulait parler.
—• « Soyons unis, leur dit-il ; soyez dignes, soyez calmes, dignes
de vos pères qui sont morts pour la liberté et qui reposent près
d'ici. Allons leur rendre un pieux devoir. Allons à la Colonne !
J'irai avec vous. » Il descendit en effet, et se mit en marche
avec eux, tête nue et entre deux gardes-nationaux. Après les
avoir suivis au pied de la colonne de Juillet, il les harangua
encore au retour du balcon de la mairie. — « Le peuple et la garde-
nationale , c'est tout un, s'écria-t-il : qu'ils soient dignes l'un de
l'autre, afin de se montrer grands tous les deux, afin de faire
voir un grand peuple à l'intérieur, et, sur la frontière où nous
irons peut-être bientôt, une grande nation au dehors. » Ces
paroles excitèrent un fort applaudissement. Mais un homme d'une