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58 DE LA DOULEUR DANS LE TEMPS.
Qui vit comment son âme est faite ! qui sait où son égoïsme
est fixé , qui sait où se tient son amour? Souvent l'endroit le
plus parfait et le plus délicat du cœur est celui où l'humilité
seule entrait. Souvent, dans la vieille habitude d'un vice tou-
jours présent, on perd de vue la plus grosse méchanceté de
son âme... C'est la douleur seule qui nous trouve. Tout
homme est fait comme sa douleur...
Ah 1 qui remplacerait en lui cet ouvrier invisible ! On est
toujours étonné plus tard que la douleur ait visé si juste...
Puis, aussitôt que le cœur s'arrête, la douleur le remet en
marche. Dans les âmes que Dieu veut rendre parfaites, il
faut qu'elle ait partout passé. A chaque pas, sur sa trace,
elle laisse une abnégation. 0 vous qui cherchez l'amour,
laissez Dieu mener votre âme par où il faut...
Lorsqu'on a long-temps souffert, on est un jour tout sur-
pris de ne plus retrouver son égoïsme. La douleur use le moi ;
plus rapidement peut-être que la vie. Après de longues dou-
leurs, l'homme, empressé de visiter son âme, retrouve ses
plus gros vices abattus. Car, telle que le burin du tour, vous
verrez constamment la douleur se placer sur les côtés les plus
saillants du moi. D'une forte passion , d'une excroissance de
l'orgueil, elle fera naître une grande fleur ! 0 vous qui cher-
chez la beauté, laissez Dieu former à votre âme la couronne
qu'il lui faut !
Tout en croissant sur sa tige de liberté, la belle plante
spirituelle ne se déformera point ; la douleur est là pour la
découper suivant ses proportions immortelles ! Prenez-vous
dition du beau. Observez par exemple les écrivains. Ceux qui n'ont que des
sentiments, restent aussi vagues qu'abondants ; ceux qui n'ont que de la force,
restent aussi arides qu'exacts. Mais ceux qui renfermèrent un cœur profond
dans un caractère formé se sont montrés de grands esprits. La supériorité de
leur nature a produit celle de leur art, comme Bufl'on l'a remarqué du style.