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452 DU GÉNIE LITTÉRAIRE visions trop lumineuses, un Éden de science ou d'amour qui nous ferait prendre en dégoût la cité des hommes. Ce carac- tère toujours pratique et positif que conserve notre littérature, se rencontre au plus haut degré même dans notre poésie. Si la France du XVII e et du XVIII e siècle avait eu quelque velléité de contemplation et de rêverie, quelques tendan- ces extra - humaines , quelque amour de l'impossible et de l'idéal, nous devrions en trouver des preuves dans les vers qu'elle nous a laissés ; mais sa poésie n'en a pas de traces; le grand culte de ses poètes ainsi que de ses philosophes, c'est le sens commun ; ils évitent, comme la folie, tout ce qui pour- rait les égarer un instant en dehors des préoccupations et des intérêts ordinaires de l'humanité. Des pensées de deux ordres différents peuvent divertir l'homme de l'action sociale et de l'étude de lui-même ; son âme peut être envahie par deux ordres de sentiments ayant une source extérieure, le sentiment du monde invisible ou de Dieu, et celui du monde visible ou de la nature. Mais l'homme tend à conserver sa personnalité indépendanle de ce double infini. L'humanité est pour elle-même un objet de contemplation bien autrement saisissante que les deux autres réalités ; aussi, le cœur humain est-il la principale source de la poésie, quoiqu'elle ait deux autres éléments nécessaires, Dieu et la nature. Tout poète est sous l'impression plus ou moins dominante d'un de ces trois principes, et, comme on peut faire rentrer toute idée philosophique dans une de ces trois catégories, psychologique, naturaliste ou mystique, ainsi toute conception poétique dérive plus particulièrement ou du spiritualisme religieux, ou du sentiment humain, ou du sen- timent de l'univers. Il va sans dire, néanmoins, que ces trois réalités, la nature, l'homme et Dieu, agissent à la fois sur chaque artiste, et que toute poésie, pour être complète, doit attester leur triple influence.