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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 67 Méditerranée. Déjà les vqisseaux en apprennent la route; déjà les bateaux a vapeur y préparent leur station et la r e - lieront bientôt au continent. Le mouvement industriel va commencer: heureux ceux qui les premiers sauront en pro- filer ! heureux ceux qui peuvent disposer d'un modique capital ! et plus heureux encore ceux qui possèdent une belle fortune et peuvent la manger chez eux libres et tranquilles !! La conversation tomba ensuite sur le chapitre des moeurs des habitants. On raconta des histoires de vendetta et de bandits; on loua la bonté des Sardes, leur patience et leur intelligence; on célébra leur hospitalité écossaise et la beauté de leur femme, toutes choses dont plus lard je pourrai vous parler par expérience ; puis chacun se sépara pour s'aller coucher, les uns avec leurs femmes et les autres tout seuls. Je restai quelques jours encore à Gagliari, explorant ses quartiers les plus obscurs, épiant aux balcons des fenêtres les beautés fugitives, dont ma présence effarouchait les amoureux, et disposant toujours ma promenade de manière à passer et repasser devant la taverne de l'Aurore, cet horrible cabaret dont les profondeurs ténébreuses cachaient la belle Anlonica.—Qu'est-ce que la belle Antonica, allez-vous dire? Mon cher ami demandez-le à Madame à qui j'en ai écrit l'histoire. — Le soir, j'allais ordinairement m'installer dans un café du faubourg de Stampaza, de la porte duquel je pou- vais plonger mes regards dans l'intérieur d'une locanda sarde, pure sarde. C'était un long corridor, éclairé de dis- lance en distance par de petites lampes suspendues au plan- cher, et dont le vent du soir faisait vaciller les douteuses clartés. Dans ce jour mystérieux, mon œil distinguait d'abord des images informes, étendues sur le sol poudreux : peu à peu ces masses se transformaient en simples mortels, livrés aux douceurs du sommeil, enveloppés dans leur capotou, et la tête posée sur la selle de leurs chevaux, qui piaffaient et hen-