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456 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. Plus tard, Romand confia à son patron nouveau que, pour être plus utile à ses concitoyens, il avait rédigé l'histoire entière de sa vie. « Il espérait, disait-il, en faisant connaître les degrés divers qui l'avaient conduit au fond de l'abîme, mettre en garde les jeunes gens de la classe ouvrière contre les entraînements qui l'avaient perdu. » Ce manuscrit, M. Servan de Sugny s'en chargea encore ; il lecompléta d'une préface et de pièces personnificatives; le re- toucha sans doute, bien des traits semblent le prouver; et le donna au public sous le titre que nous avons annoncé. A la première vue, cette histoire a un faux air de philanthropie, de justice éclairée et miséricordieuse qui peut faire illusion aux cœurs généreux. Quelques-uns s'y sont trompés. On a félicité M. Servan de Sugny d'avoir fait, non seulement un bon livre, mais une bonne ac- tion. Nous devons déclarer dès à présent que nous ne nous asso- cions pas à ses louanges. Et d'abord, à le voir de près, Romand n'est pas du tout aussi in- téressant que M. Servan de Sugny veut bien le dire dans une pré- face sentimentale. Dans toute sa vie, nons le voyons dominé par une vanité désordonnée, par un besoin maladif d'attirer les regards, de faire parler de lui. N'a-t-il pas obéi encore une fois à cette pas- sion funeste, quand il a placé son nom en toutes lettres au titre d'un livre qui racontait sa honte? N'était-ce pas un dernier effort, une tentative désespérée pour sortir enfin de cette obscurité qui fait son supplice? C'est souvent par un raffinement de vanité qu'on recher- che le scandale. Nous ne voudrions pas contester son repentir; et pourtant, il est bien phraseur pour être sincère. Le repentir est comme la douleur; le plus vrai est celui qui se tait. Pourquoi Ro- mand en parle-t-il sans cesse ? Pourquoi affiche-t-il partout ses sentiments religieux, sa tendresse de père? Qui veut trop prouver ne prouve pas. Je le suppose repentant et sincère, ne fallait-il pas lui faire com- prendre que son projet était peu réfléchi ; que le bruit ne lui valait rien ; qu'après ses malheurs et ses fautes le mieux était de s'enve- lopper la tête de son manteau, et que, s'il voulait servir la société, ce devait être en silence, ou du moins sans se nommer ? Romand a des enfants dont il parle trop : ne fallait-il pas lui faire sentir que