page suivante »
BULLETIN' BIBLIOGRAPHIQUE. 453
faudra condamner ou l'auteur ou ceux qu'il nomme ses ennemis;
car c'est une condamnation qu'il veut ; il les amène à notre barre,
dit il lui-même; par suite il y vient avec eux. Écoutons donc son
plaidoyer, et jugeons-le, puisqu'il le désire.
Il est délicat de parler de soi , d'occuper le public de ce qu'on
est, de ce qu'on a fait, et de l'opinion (toujours bonne, à coup sûr)
qu'on a de soi-même. Il avait un grand sens, celui qui disait qu't7
ne faut parler de soi qu'ait roi, et de sa femme à personne ; et
quoique M. Servan de Sugny puisse répondre qu'aujourd'hui le
vrai roi c'est le public, je suis convaincu que le sage à qui j'em-
prunte cette parole, aurait hésité (hors le cas d'une nécessité ab-
solue) Ã entretenir de soi un roi si multiple. Il est encore plus
délicat de parler des autres, surtout lorsque ce sont nos supérieurs
de la veille, et lorsque il s'agit de les accuser, de les dénoncer,
d'opposer notre parole, notre valeur d'homme et de citoyen, Ã
l'autorité morale que donnent à nos adversaires une haute position
sociale et un caractère jusqu'alors à l'abri des attaques. Si la pu-
blicité d'une semblable querelle peut être justifiée, c'est lorsque
l'intérêt lésé est un intérêt très général et qui touche tout le
monde. L'individu disparaît alors; nous nous sentons tous blessés
du coup qui a frappé la victime; et si elle élève la voix, si elle de-
mande justice, elle prend l'imporlance d'un avocat qui plaide une
cause où nous sommes tous intéressés. Tel Beaumarchais dans ses
admirables et immortels Mémoires; Rousseau dans sa lettre à M.
de Beaumont. Mais que tout fonctionnaire révoqué par l'autorité
légalement instituée vienne appeler le jugement du public sur les
causes de sa destitution, et en prenne occasion pour formuler sur
cette autorité les accusations les plus graves, c'est ce qui n'est ni
sage ni convenable. Où en serions-nous, si tous les sous-lieutenants
cassés par M. le ministre de la guerre, tous les employés des postes
et des finances révoqués de leurs fonctions, s'ingéraient de venir
nous raconlor leur vie pour nous en faire juges? Lorsque les
accusations vont à une certaine gravité comme dans le cas qui
nous occupe, la critique a une tâche à remplir au nom du goût et
de la raison; c'est de montrer, sans exagération, mais aussi sans
faiblesse, où la limite du convenable et du permis a été franchie et