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352              LETTRES SUR LA SARDAIGNE.
et maintenant que je vous ai fait cette profession de foi, scan-
daleuse peut-être, mais à coup sûr rassurante, je commence.
    Le lendemain de mon arrivée, après une journée passée
toute entière à faire connaissance avec la ville et ses fau-
bourgs, je m'étais réfugié, pour trouver un peu de calme et
de fraîcheur, sur la terrasse qui domine le golfe de Cagliari ;
là, assis à l'ombre de méchants acacias, une cuillère à la
main, j'effilais nonchalamment une glace à la vanille, tan-
dis que mes regards s'égaraient sur cette mer spleridide que
le soleil couchant illuminait de ses derniers rayons.
   Les flots, frémissant au vent du soir, venaient mourir en
murmurant sur le rivage, et le bruit de leurs clapottements
monotones qui montait jusqu'à moi troublait seul le silence
de la nuit. L'heure, la magnificence du spectacle m'entraî-
nèrent peu à peu dans de profondes rêveries, et je me trou-
vai bientôt dans un de ces moments fortunés, où l'esprit,
s'égarant dans un vague indéfini, perd la conscience de son
individualité, dans un de ces moments pendant lesquels si
quelqu'un vient vous demander à quoi pensez-vous? vous
répondez machinalement: je ne pense à rien. Mais hélas!
c'est une loi de la nature, si quelque secousse physique ne
vient brutalement disperser ces douces rêveries, elles dégé-
nèrent bientôt en palinodies philosophiques. Déjà les mien-
nes allaient toucher à cette fâcheuse transformation; je com-
mençais à gémir et à pleurer en moi-même sur l'incertitude
de l'avenir, sur l'inconnu tant poursuivi, sur ces chères il-
lusions dont il nous faut joncher l'arène de notre vie, et,
j'arrivais à m'apercevoir de ma solitude, à chercher un ami,
un compagnon à mes côtés, et à me demander s'il est des
biens physiques ou moraux sur la terre dont on puisse
jouir absolument seul, quand soudain, je sentis une main
s'abaisser sur mon épaule, et vis en me retournant un beau
gendarme assis à mes côtés. Oui, Madame, souriez tant qu'il