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ABBOTSFORD. 311 mencement des choses : pendant que, d'un côté, il considé- rait le vieil astre fatigué qui se couchait dans la poudre du soir, de l'autre il apercevait, du haut de sa pensée, l'orbe im- mense et rougi qui se levait à l'horizon sanglant. Aussi un siècle tantôt n'a pu suffire à la curiosité des visi- teurs. 11 faut que la porte de Ferney se tienne toujours béante sur ses gonds fatigués. Ce château a beau passer dans des mains diverses, c'est toujours Voltaire qui en est le seul maître connu. A chaque pas qu'on entend, à chaque pfrte qui s'ouvre, on croit voir entrer avec vivacité celle forme humaine si familière et si présente à tous, ce vieillard alerte qui mit un si grand esprit tour à tour au service de la vérité et de l'erreur. Dans le jardin, quand on se promène en rêvant, on croit apercevoir, au bout de l'allée, le philosophe militant, a la figure amincie, à la parole vive et railleuse, toujours prêt à entrer, la robe retroussée, dans les plus chaudes mêlées. Dans une contrée plus lointaine et moins foulée, éclairé d'un rayon de gloire charmante, un autre château, vide aussi d'un écrivain illustre, attire maintenant les pas des voyageurs : Abbotsford a ses fidèles. Au seuil de la demeure de Waller Scott arrive, sans s'épuiser jamais, la longue file des visiteurs. On n'y vient point, comme à Ferney, préoccupé de pensées orageuses, avec un vieux fond de controverse mal éteinte, et l'intention préalable de glorifier ou d'insulter une grande re- nommée. Chez Waller Scott — qu'on me passe l'expression familière — il n'y a pas lieu à de telles divergences. Là tous les esprits sont réunis dans une douce confraternité de sou- venir. Chaque visiteur n'est autre qu'un simple lecteur char- mé et reconnaissant. Atlristé de ne plus entendre le vieux conteur, on vient voir s'il est bien vrai qu'aucun feu ne vit plus à ce foyer. 11 semble qu'en soufflant sur ces cendres froides, on fera une sorte d'évocation, que l'esprit brillant vous apparaîtra au milieu des étincelles, et qu'on sera en-