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234 immense qu'on appelle l'humanité. Mais ces facultés , ces pas- sions dont chacun saisit en soi le g e r m e , elles se sont isolé- ment développées quelque part. Car il semble que la fin de la race humaine soit de réaliser dans l'espace et le temps tout ce qu'il y a de sentiment et d'action à l'étal de possible clans l'ame de chaque homme. Toutes ont eu leur illustre représen- tant, c'est par elles qu'ont été les grands hommes. La plupart de ces grands hommes sont morts pour nous tout entiers. A peine quelques vestiges de leurs desseins, quelques échos de leurs paroles sont parvenus jusqu'à nous. La terre recouvre le r e s t e , et Dieu seul sait la longue et tragique histoire de ce qui les fit grauds, de leurs passions et de leurs malheurs. Mais tous n'ont pas emporté avec eux dans la tombe les titres de noblesse de l'humanité. Il en est qui vivent encore pour n o u s , qui ont sculpté en airain toutes leurs pensées, toutes leurs émotions. Incomplets, eux a u s s i , ils subissent en cela la condition commune de tout être créé; il n'est quel- quefois qu'une qualité, qu'un penchant auquel ils ont livré toute leur ame. Mais celte atrophie des autres éléments de l'esprit est presque pour nous un bonheur, la qualité privilé- giée apparaît sous des traits éclatants. Ce jet vigoureux, nourri de toute la sève de leur génie devient l'idéal d'une faculté humaine. Voilà , MM., une des conditions que je devrai , je crois, exiger d'un écrivain pour le juger digne d'occuper votre atten- tion. Il faudra qu'il soit le représentant d'une nobls i d é e , d'une grande passion , d'un élément essentiel de l'esprit humain. À celle condition il faut en joindre une seconde. Que nous servirait, en effet, qu'un homme ait nourri en lui-même cet élément précieux, s'il n'avait su le faire vivre au dehors, lui donner une forme sensible, durable? La forme, MM., voilà peut-être le plus difficile en poésie. Sans elle^ les sentiments les plus beaux ressemblent à ces gaz qui s'élèvent de nos