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65 que nous les éprouvons ; elle nous a seulement transmis la vue des objets qui, par le pouvoir naturel qu'il en a, ont donné à notre cœur l'occasion de réveiller ces sentiments en un temps plutôt qu'en un autre ; et il les a exercés librement à propos de ces objets pour lesquels le germe de ces senti- ments a été déposé en lui. Chose très remarquable ! n'ai-je pas en moi l'élément de l'amour paternel, a ce point que je veux être père et aimer des enfants avant même d'être père? N'ai-je pas en moi l'élément de l'amour platonique, à ce point que je cherche à être époux et veux avoir une amie pour l'aimer, avant même de connaître cette amie ? Enfin, n'ai-je pas en moi l'élément de l'amour filial, à ce point qu'ayant été en naissant séparé de ma mère, je la cherche et veux l'aimer, moi qui ne l'ai jamais vue? Dès-lors, si, avant de posséder les objets qui répondent à ces amours, mon cœur se surprend à les aimer de lui-même, si ces amours existent en moi antérieurement â la présence des objets aimés, ce ne sont donc point ces objets aimés qui mettent en moi ces amours, et ces amours ne me viennent donc point de l'expérience. En un mot, ces trois amours sont les éléments indispensables de notre cœur, comme les trois notions impersonnelles le sont de la raison. Alors ils ont la même origine et les mêmes caractères. Sans aller si loin, nous savons bien que les objets exté- rieurs ne mettent rien dans l'esprit ; qu'ils ne peuvent qu'y réveiller les idées elles sentiments auxquels ils correspondent. C'est ainsi que les effets ne mettent point en nous l'idée de cause, mais en provoquent le réveil et l'exercice. Les amours de la famille ne naîtraient point dans mon cœur à propos des objets qui en occasionnent le réveil, si ces amours n'étaient point en puissance dans mon cœur. Du reste, si ces amours ne devaient pas se trouver primitivement et nécessairement dans le cœur, et si, au lieu d'avoir besoin pour y naître d'un 5