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son enfant. Elle était la mariée d'un des vassaux qu'avait en-
rôlés feu le comte de Forez. Certain garde du château, dans
l'espérance de fiancer avec elle, avait fait courir le bruit que
le comte s'était fait suivre en paradis ; mais la pauvre femme
n'en croyait rien, elle tenait à son serment d'épousée envers
et contre tous. «—Je te prends, avait-elle dit, comme toutes
les fiancées d'alors, à époux et mari, et je te promets que je te
porterai foi et loyauté de mon corps et de mes biens, et je te
garderai sain et malade en quelque état qu'il plaise à Dieu
que tu sois. Ne pour pire ne pour meilleur, je ne te changerai
jusqu'à la mort certaine. »
Elle était fidèle. Elle était belle aussi. Toute la beauté de
la mère s'était ensuite reproduite dans les traits de l'enfant.
À la vue, c'était la Vierge et l'ange que les soldats d'Hérode
semblaient traîner au massacre.
Arrière! lui criait-on, et les coups suivaient la menace.
On la mit hors le château, et le vieux fauconnier s'avisa de
retenir l'enfant pour la cuisine de la malade.
Aussitôt que cette mère désolée vit fermer sur elle les
lourdes portes du donjon, elle ne fut plus maîtresse de sa
douleur. Elle se prit à parcourir toute saignante et échevelée
la principauté du Jarez, excitant à la vengeance le peuple
menacé, comme autrefois ce Lévite dont les habitants de
Gubaa avaient déshonoré la femme. Beaucoup de mères
noyèrent leurs enfants dans la crainte de les voir servir de
pâture à l'ogre du Jarez. Plusieurs se tuèrent de désespoir.
C'était la fin du monde, tant la frénésie de ce peuple était
grande.
Quelques chroniqueurs rapportent que hommes, femm«s
et enfants tout aussitôt s'ameutèrent, assiégèrent le château,
saisirent dans leur rage la princesse, l'enfermèrent dans une
cage de fer, la promenèrent dans le Jarez, et tirèrent d'elle,
en la mettant en pièces une vengeance horrible.
Cette chronique n'est pas la vraie. La dame du Jarez vécut
toujours, depuis lors, dans la haine du peuple; mais elle n'eut