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232               MADEMOISELLE DE MAGLAND.
Frappé au matin de sa vie dans ses croyances les plus chères, son
cœur ne se relèvera jamais; rien ne refleurira sur les ruines de son
bonheur. Cette femme qui se survit à elle-même est un spectacle
que le plus indifférent ne pourrait contempler sans pitié. Les rava-
ges de la douleur et les efforts de sa volonté sont effrayants. Habi-
tuée à se dompter et à se contenir, elle se taira jusqu'au tombeau,
et de telles victoires tueiît ceux qui les remportent.
    Marie a revu Raoul ; nous espérions, M. de Blossac et moi, pou-
voir éviter cette rencontre; le sort en a décidé autrement. Nous
étions l'autre soir chez l'amiral J . . . , la chaleur de l'appartement
nous avait amenées toutes deux sur le balcon , où bientôt le bon,
l'excellent Auguste, tout ému, vint nous rejoindre ; il prit la main
de Marie. — Du courage, au nom du ciel, lui dit-il, les voici. Ne don-
 nez pas à cette affreuse femme la joie de vous voir souffrir de sa
 présence. — J'en aurai , dit-elle, d'une voix à peine articulée. On
 entendit alors annoncer M. et M me de la Rochemarqué. Nous res-
 tâmes encore quelques instants sur le balcon pour donner à Marie
 le lemps de se remettre, et lorsque nous rentrâmes au salon, per-
 sonne, excepté moi, qui tenait sa main baignée d'une sueur glacée,
 ne se fût douté de la torture qu'elle subissait en cet instant. Ce fut
 sans affectation et sans trouble apparent qu'elle alla s'asseoir auprès
 de son oncle vers lequel Raoul s'approchait ; il lui adressa un salut
 qui n'était pas exempt d'une nuance d'embarras qui s'augmenta visi -
 blement quand il s'aperçut que sa femme avait les yeux fixés sur
 lui ; Marie lui rendit son salut avec l'aisance et la gracieuse dignité
 qui ne l'abandonne jamais. Il faut cette habitude de souffrance et
  de malheurs ignorés que contracte le cœur des femmes, pour arri-
  ver à cette présence d'esprit et de courage qu'on admire en elles,
  et pourtant qu'on leur reproche. Nul ne sait par combien de longs
  efforts, de rudes combats, elle a acheté cet empire sur elle-même,
  et ce pouvoir de réduire ses impressions à une subordination si sé-
  vère ! Poussée parce tyrannique inslinct des âmes passionnées, qui
  leur font poursuivre en tout la perfection dans la douleur comme
  dans la joie, elle ne voulut pas échapper à ce dernier coup ; comme
  si elle eut trouvé je ne sais quelle sauvage consolation dans l'excès
   mâme de son mal, malgré les instances de M. de Blossac et les