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142               MADEMOISELLE DE MAGLANI).

donnent ces saintes affections ; point d'enfant suspendu au col de
son père, point de joies à partager, point de ces bonheurs qui mar-
chent le front levé ! au lieu de tous ces biens, le vide affreux, la lan-
gueur mortelle, les plaies envenimées que laissent au cœur la perle
de tout ce qu'on aime ! Ah! Sara, si la justice éternelle n'est pas
un mensonge, c'est au moins une cruelle énigme pour quel-
ques-uns !
   Votre lettre est venue me rappeler cet espoir d'un meilleur ave-
nir, que vous m'offriez dans vos adieux, pour adoucir l'amertume
des miens. L'espérance ! c'est elle qui éternise nos malheurs en les
caressant ; si je pouvais ad >pter ses trompeuses promesses, certes,
ce serait quand, passant par vos lèvres, elles se teignent de la bien-
veillance qui les inspire, mais quand il ne reste plus qu'à empor-
ter son passé au travers des ruines de son avenir, on n'espère plus
rien, ni des hommes ni du temps. Peut-être le temps adoucit-il l'ex-
pression de nos peines, peut-être apprend-il à nos blessures à ne
saigner qu'en dedans, mais croyez qu'il ne console que ceux qui
n'ont pas besoin de l'être. J'aime de cette adoration infinie qui
triomphe de toutes les douleurs, et qui survit même à la trahison.
Je pourrai en mourir, peut être, mais je ne pourrai me consoler ni
me résigner; la résignation est impossible à ceux qui n'ont rien où
se rattacher. Savoir s'apaiser sans se refroidir, se contenir sans s'ef-
facer, sont des vertus qui me manquent. J'ai vidé une coupe d'in-
fortune qui aurait pu suffire à la vie la plus longue, et la souffrance,
féconde en enseignements, m'a appris que la douleur est si bien
faite pour le cœur de la femme, qu'il ne se complète que par elle.
Le véritable amour survit à tout, il règne seul sur les débris des
affections qu'il a détruites, il vit de ses propres tourments, il se
repaît de ses angoisses ; le cœur qui saigne, qui demande grâce, il
 le poursuit, il le déchire, il le dévore, mais il ne le tue pas, et pour-
 tant, combien mieux vaudrait s'éteindre victime de ses illusions
que de survivre à leur ruine !
   Qu'il faut avoir confiance en votre douce et patiente amitié, chère
 Sara, pour vous montrer ainsi le désordre de mon cœur I prenez en
 pilié mes haines, mes tendresses, mes souffrances qui sont aussi
 coupables. Ah' si c'est un crime d'aimer un homme qui appartient